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voyage de quatre jours, par des chemins à peu près inexistants. En de nombreux endroits, les pistes étaient devenues de vraies fondrières et plus d’une fois, pour ne pas y rester enlisé, il fallut se frayer à la hache un passage sous bois. Pour la nuit, pas d’autre abri que des tentes.

Le lac Lenore mesurait dix-sept milles de long et atteignait jusqu’à six milles de large. À ces hommes inaccoutumés à un tel spectacle, cette petite mer intérieure apparut singulièrement majestueuse. Quant à l’aspect sauvage du pays, avec sa terre rocailleuse et fortement boisée, il n’était pas pour les effrayer. Le 24 mai, jour de l’arrivée, une grande tente commune fut érigée dans la « Plaine », ainsi nommée parce que c’était le seul endroit dénué d’arbres, où il ne poussait qu’une herbe plutôt maigre, comparée aux pâturages plantureux de Bretagne.

Après deux ou trois jours consacrés à l’organisation du quartier général, on se mit à faire la visite des terrains. Ce n’était pas chose aisée, à travers le bois épais, de repérer les limites de chaque homestead et de se faire une juste idée de la nature du sol. Le P. Maisonneuve fut d’un grand secours pour guider les pas de ces novices à la recherche de leurs futurs domaines. Mais comment procéder à l’attribution des lots individuels ? On convint de tirer au sort pour fixer l’ordre dans lequel chaque colon devait se présenter au bureau des terres. Avant le retour à Prince-Albert en vue de cette formalité, l’abbé Le Floch fit abattre le plus bel arbre qu’on put trouver. Il servit à la confection d’une grande croix rustique qui fut érigée sur un tertre non loin de la tente, pour marquer la prise de possession.

Les premières familles commencent à arriver et l’on se préoccupe d’abord de se bâtir chacun chez soi. L’abbé Le Floch a amené de la ville deux charpentiers ; mais, sans expérience dans la construction à la mode du pays, ils doivent se mettre à l’école d’un frère Oblat allemand. Le précieux P. Maisonneuve vient aussi donner à ses compatriotes quelques leçons pratiques sur l’art de tailler les troncs d’arbre en queue d’aronde. Une maison-chapelle en pièces de bois équarries de 30 pieds de long sur 20 de large s’élève bientôt sur le bord du lac. Le rez-de-chaussée servira de logement au prêtre et les services religieux se feront à l’étage. Cet état de choses un peu primitif durera quatorze ans.

Comme toutes les colonies naissantes, Saint-Brieux eut sa large part d’épreuves, de sacrifices et de déceptions. Un petit nombre seulement des passagers du « Malou » s’étaient établis dès le début sur leurs homesteads. Les autres cherchèrent à grossir leurs économies en travaillant à Prince-Albert ou ailleurs. Quatre ans après sa fondation, le centre ne comptait encore que soixante foyers. Il fallait avoir de vraies têtes de Bretons, comme on disait alors, pour entreprendre de coloniser une région aussi ingrate, rocailleuse et fortement boisée. Quelques-uns se découragèrent, jetant littéralement le manche après la cognée, et se firent rapatrier, ce qui eut des échos fâcheux en Bretagne sans toutefois nuire au recrutement futur. Mais les énergiques et les patients furent assez nombreux et suffisamment récompensés de leurs efforts pour assurer le succès de l’entreprise commune.


Parmi les premiers colons

Parmi les premiers colons se trouvaient les familles Denys Bergot, Mathias Buzit, François Fagnou, Pierre Froc, Jean-Marie Gallays, Yves Rallon, Remy Buan, Jean-Pierre Thébaud, François Rouault, Jean-Marie Rocher. Il y avait aussi des célibataires qui, pour la plupart, ne tardèrent pas à fonder un foyer : Michel Fagnou, François Tinévez, Théophile Rudulier. Et quelques célibataires endurcis : Jean Lucas, Victor Quiniou, Yves Ollivier, Yves Le Pape.

Lors de la célébration du cinquantenaire, en 1954, Mme Marie Rouault était la seule femme mariée d’alors survivante du voyage de 1904. Le registre des baptêmes s’ouvre par celui d’un fils de Français venu au Canada en 1897. Il habite encore, tout près de Saint-Brieux, l’ancienne mission de Flett’s Springs. aujourd’hui Pathlow. Jean Duclaux, qui suivit, était du même endroit ; mais Yvonne Rallon fut le premier enfant issu de la vraie colonie bretonne et d’origine totalement française. Elle est maintenant fixée dans l’Ontario.

La Bretagne fournit ensuite les familles Pierre Boissière, Pierre-Mathurin Coquet, Jean Ferré, Louis Rocher, Joseph Ronvel, Alexis Toullelan, Vincent de Goesbriand, Joseph Carfantan, Joseph Thomas, Yves Rohel, François Kerleroux, François Le Borgne, François Guéguen, Guillaume Jézéquel, Jacques Larmet, François Le Berre, Alexis Ménard, Jean Levé, Jacques Guillet, Jean Doualan, Claude Le Guilloux, Auguste Nédellec, Sezny Jézégou. Goulven Breton, Victor-Emmanuel Guézille (comte de la Suzenaie), Joseph Béléguic, veuve Marie Legars, veuve Marie Blandin, Joseph Guillet, Joseph Crozon, Eugène Ronceray, Mathurin Coetmeur, Joseph Kerdraon.

Et encore des célibataires, la plupart futurs chefs de familles : Joseph Creurer, Denis Creurer, Jean-Marie Thébaud, François Thébaud, Pierre Thébaud, Pierre Rocher, Joseph Le Jan, Jean Briens, Pierre Kernaléguen, René Kernaléguen, Joseph Le Floch, Joseph L’Hénaff, François Peleau, Jean Coutard, Robert de Cervalle, Prigent Blenven, Jean Le Can, Louis Le Moigne, Christophe Cam, Yves Mazévet, etc.

D’autres qui n’étaient pas des Bretons vinrent se joindre à ceux-ci. Dès 1906 arrivaient les familles alliées Léon Carbasse et Henri Demay, venues respectivement de Paris et de Bordeaux ; Henri Massé, Louis Reinier, Pierre Caillon, du Poitou ; Gabriel Valmont et Paul Valmont, des Vosges ; Jules Daubenfeld, de la Picardie ; Henri Laffond, de Paris ; Camille Raymond, d’Algérie ; Justin Fau, de Le-Perreux-sur-Marne (Seine) ; Jean-Baptiste Ranger, Étienne Pérault, du Limousin ; Michel Bésanger, du Tarn.