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tour de la première école de venir occuper un local plus vaste au centre de la nouvelle agglomération. La colonie bretonne va se signaler par la belle tenue de ses écoliers. Les anciens se souviennent encore avec fierté de ces concours entre les écoles des environs organisés par la ville de Melfort, en présence du lieutenant-gouverneur de la province. Les enfants de leurs cinq écoles (village et campagne) défilèrent devant les juges qui, à l’unanimité, leur décernèrent le premier prix. Après le renouvellement de cet exploit pendant deux autres années, les vainqueurs se virent proclamés hors concours.

Depuis 1924, l’école publique du village est entre les mains des Filles de la Providence de Saint-Brieuc (Côtes-du-Nord), qui dirigent aussi un pensionnat. Le français et la religion figurent au programme de toutes les classes. Ces institutions attirent beaucoup d’élèves catholiques des deux sexes et de langues diverses du dehors. Dans la campagne tributaire de Saint-Brieux, l’enseignement est donné par des laïcs de religion catholique, quelques-uns de souche française. Même si le centre breton manifeste une certaine tendance à s’angliciser, on dit à voix basse que l’accent et le vocabulaire des petits Briochains font de leur français le meilleur parlé dans la Saskatchewan.

On trouve un peu partout dans l’Ouest des Bretons dispersés ou formant de petits groupes, mais Saint-Brieux est le seul centre de quelque importance qui doit son origine à des immigrants venus de Bretagne et y formant le noyau principal. En se développant, la colonie a donné naissance à des groupements dont le plus populeux est Kermaria, composé en grande partie de familles bretonnes.

Mais dans le vaste secteur desservi par le curé de Saint-Brieux, il y a aussi des Anglais et des Allemands, surtout des Hongrois et des Italiens auxquels il faudrait s’adresser dans leurs langues. Pour cette raison, l’abbé Barbier, à son grand regret et à celui de ses ouailles, s’éloigna pour donner ses soins à la paroisse auvergnate de Saint-Front. Sa carrière active achevée, il se retirera à Saint-Brieux où il vivra ses dix dernières années, s’éteignant en 1943. Il y repose auprès de la croix du cimetière. Un monument de marbre blanc atteste l’estime et l’affection que tous lui portaient.

Depuis 1926, Saint-Brieux et les missions voisines sont entre les mains de religieux français, les Prêtres de Sainte-Marie, de Tinchebray (Orne). Le curé actuel, le P. J.-A. Rivard, est au poste depuis plus de vingt ans.


Figures de quelques pionniers

Jetons un coup d’œil en arrière sur queques-uns des pionniers particulièrement dignes d’attention.

Le Morbihannais Jean Lucas, qui faisait partie du contingent de 1904, était certes le plus tranquille et le moins loquace qu’on pût imaginer. D’aspect timide et débonnaire, la tête constamment penchée à droite, il fuyait la compagnie et ne parlait presque jamais. Les premières années, il travailla tous les hivers à Prince-Albert. C’était un habile charpentier doublé d’un ébéniste de talent remarquable. Parmi ses outils se trouvait une hache à équarrir que les Anglais de la ville ne se lassaient pas d’admirer. Jean décida enfin de se bâtir sur sa terre. Elle possédait de magnifiques trembles et son propriétaire eut pu, comme tout le monde, se faire une bonne maison en « logs » ; mais notre homme ne prisait pas ce genre d’architecture. Avec sa fameuse hache il équarrit des billes de bois qu’il débita ensuite, à la scie de long, en planches et en madriers. La demeure de Lucas se distinguait par ses fenêtres ogivales et les armoiries de Bretagne placées au-dessus de la porte d’entrée. À l’intérieur, tous les meubles — buffet, lit, table, chaises, etc. — furent sculptés ou ciselés par lui avec un goût parfait.

Plus d’une jeune compatriote eût été fière de vivre dans un pareil décor, mais toute pensée de mariage était irrévocablement bannie des idées du maître de céans. Cet amour fanatique de la solitude eut de déplorables conséquences. Un jour d’hiver, on trouva Jean Lucas sans connaissance et à demi gelé à la barrière de son homestead. Il resta quelque temps au village sous des soins intelligents et dévoués. Puis, avant de s’éloigner pour toujours, par gratitude envers Yves Rallon, qui l’avait découvert et arraché à une mort certaine, le rescapé lui laissa sa belle terre pour la somme de cent dollars. Cette propriété, très proche du centre de Saint-Brieux, fut divisée en trois lots dont la vente rapporta $9,300.

Jean Ferré, venu de Blain (Loire-Atlantique) en 1904, à destination de Duck-Lake, prit son homestead à Saint-Brieux et devait y mourir en 1953, à l’âge vénérable de quatre-vingt-quinze ans. Il laissait neuf enfants, quarante-trois petits-enfants et plus de cinquante arrière-petits-enfants, tous à Saint-Brieux et presque tous agriculteurs. Les fils commencent à se retirer au village, laissant les jeunes cultiver des fermes de grande valeur, bien bâties et bien outillées.

L’un de ses gendres, Louis Demay, a trouvé sa voie dans le commerce et l’administration. Originaire de Bordeaux et venu en 1906, il a toujours tenu une grande place dans la vie de Saint-Brieux et dans le mouvement franco-canadien de la province. Ayant passé ses intérêts commerciaux à sa fille aînée et à son gendre, il est maintenant secrétaire de la municipalité rurale et de la municipalité du village. Depuis plus de quarante ans il siège aussi à la grande unité scolaire du même endroit et à la grande unité scolaire de Humboldt depuis son érection en 1946. À l’échelle provinciale, on l’a vu président de l’Association catholique franco-canadienne et président des Commissaires d’école franco-canadiens, fonctions d’où il s’est retiré en 1952. Son fils unique le Dr Maurice Demay, est surintendant de l’Hôpital psychiatrique de North-Battleford et bien connu dans les cercles médicaux de l’Ouest canadien.