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sa poche. Par un hasard singulier, deux jeunes Basquaises de San-Francisco le coudoient dans le brouhaha de la gare ; l’une dit à sa compagne dans la langue du pays natal, convaincue que le diable lui-même ne pourrait la comprendre :

— Tiens, voici un pauvre homme qui va dépenser tout son argent comme un fou, immédiatement !…

— Oh non !… riposte du tac au tac le compatriote. Je vais mettre ça en banque, immédiatement.

De telles dispositions présagent la réussite certaine. Cependant, élevé sur la ferme, tout en ayant un penchant marqué pour les affaires, les aventures et les risques, si Jean-Pierre Paris amassa de l’argent dans les camps forestiers, il ne put s’accoutumer à ce genre de vie. En 1912, on le trouve dans l’Alberta, à la recherche de terrains propres à une entreprise agricole telle qu’il la rêve. Au nord de Calgary, il fait l’acquisition de vastes étendues qui iront toujours en s’agrandissant. Depuis lors, il y mène de front l’élevage des animaux et la culture du blé. Veuf et remarié à une cousine, Catherine Paris, il est aujourd’hui chef d’une puissante tribu de descendants et d’associés qui l’aide à gouverner un empire de 20,000 acres. L’aîné de ses gendres, Robert Jackson, utilise un avion à quatre sièges pour inspecter l’exploitation familiale.

Un cousin, Peti Paris, posséda longtemps trois sections de terrain dans la région de Three Hills, au sud de Trochu. Il y connut, comme les autres, des hauts et des bas, finit par passer à travers les années difficiles de sécheresse et vit aujourd’hui retiré à Vancouver. Ces deux Paris se rattachent à la grande famille du même nom que nous allons trouver dans la métropole du Pacifique.

Dans la partie sud de l’Alberta, quelques Français sont attirés dans des paroisses ou missions déjà formées : Pincher-Creek, Bellevue, Cluny, Gleichen. Une centaine se sont fixés à High-River, à quelque 30 milles au sud de Calgary. Ce centre nouveau aura bientôt sa chapelle que desservira un prêtre français, l’abbé F. Beausoleil. On y trouve des Parisiens, des Bretons et des Savoyards. Parmi ces derniers, le marquis Raoul de Roussy de Sales, avec sa femme et ses onze enfants, et une famille apparentée, celle du comte de Foras. Au nombre des Parisiens, Henri Massieu de Clerval, qui épousera la fille ainée des Roussy de Sales et sera le premier agent consulaire de France à Calgary. La colonie française de cette ville, assez clairsemée, comptera un petit groupe d’agents d’immeubles et de spéculateurs. À Roussy de Sales et Henri de Clerval, venus de High-River, se joindront entre autres André de Vienne, de Cardaillac et le comte de Charnassé.

High-River n’a pas perdu toute trace de son passé aristocratique. Mlle Odette de Foras, fille du comte et d’une mère portugaise, après une carrière de chanteuse d’opéra au fameux Coven Garden de Londres, vit retirée sur la terre familiale où elle était venue enfant.

La colonie française de Calgary a aujourd’hui la distinction unique de compter parmi ses membres une centenaire authentique. Mme Louise-Joséphine Rostaing, de l’Isère, devenue veuve à vingt-neuf ans, éleva trois enfants. Quand sa fille mourut à Grenoble, en 1924, elle partit pour le Canada. Elle avait alors soixante-six ans et vit depuis chez son fils, Joseph Rostaing, à Calgary. Son petit-fils, le R. P. Louis Rostaing, Jésuite, est l’économe du Collège de Saint-Boniface. La vénérable centenaire s’occupe encore à de petites besognes domestiques et à des travaux de tricot. Elle conte volontiers des souvenirs de son enfance et de sa jeunesse, évoquant même l’épopée napoléonienne, venue jusqu’à elle par la bouche de ses parents.[1]

  1. Jean d’Artigue, Six Years in the Canadian North-West, Toronto, 1882.

    Mgr Émile Legal, O.M.I., Short Sketches of the History of the Catholic Churches and Missions in Central Alberta, Winnipeg, 1914.

    Victor Forbin, 17,000 kilom. de film au Canada, Paris, 1928.

    S. R. Mealing, Old France in Alberta, (New Trail), Edmonton, avril 1947).

    Dr Adrien Loir, Canada et Canadiens, Paris, 1909

    Gilbert Larue, Reportage de La Presse, Montréal, 28 novembre 1910.

    La Canadienne, Paris, 1908.

    Les religieuses de la Charité de Notre-Dame d’Evron, de Trochu, ont eu l’obligeance de me fournir des notes sur les origines de Trochu. J’ai aussi obtenu des renseignements utiles de M. l’abbé J.-A. Normandeau et de Mlle Cécile Eckenfelder.