Périgord, pays des truffes et des pâtés de foie gras, qui sut lui conserver son haut renom pendant une vingtaine d’années. Pierre Foursin, de passage à Victoria en 1890, assure que le banquet qui y fut offert par les notables de la ville à un groupe de délégués européens dont il faisait partie était « un chef-d’œuvre ». Et il ajoute : « Le Driard n’a pas seulement obligé tous les Yankees à confesser la supériorité de la gloire de la cuisine française ; il a créé sur place une collection de connaisseurs, une clientèle locale digne de lui. Nulle part en Amérique on ne trouve de plus fervents disciples de la bonne chère, des vins français meilleurs et des fines champagnes aussi authentiques. On a même poussé le culte jusqu’à acclimater, en vue de l’immolation, des faisans qui se multiplient en liberté dans les bois environnants. M. Redon, animé par le zèle d’un sacrificateur antique, convaincu à juste titre que la gloire du Driard est une gloire française, désirerait voir des fermiers français venir s’établir dans les environs de Victoria, qu’ils approvisionneraient d’agréables primeurs, de beurre fin, de côtelettes de pré-salé, de tendres filets, d’œufs frais et de volailles à point. »
À cette époque, on le voit, il n’y avait plus trace des premiers cultivateurs français amenés par la ruée de l’or. Depuis 1870, ils avaient suivi les mineurs, les uns regagnant leur patrie, les autres la Californie. Si le groupe avait pu malgré son petit nombre, faire bonne figure alors que le pays était encore peu peuplé (Victoria n’avait que 3,000 âmes en 1870 et 5,000 en 1880), l’affluence d’immigrants après l’ouverture du chemin de fer transcontinental, en 1887, devait fatalement le submerger.
À Nanaimo, les premiers Français et Belges avaient été attirés par les mines d’anthracite. Ce noyau s’est maintenu et a heureusement progressé. Un colon de cet endroit, Fort, du département du Nord, fut longtemps le fournisseur de vin de cerise pour la maison du gouverneur — vin qu’il fabriquait lui-même avec les cerises de son verger.
Un Français de naissance lieutenant-gouverneur de la province
Avant de quitter l’Île Vancouver, il nous reste à parler d’un personnage qui tranche sur les précédents. En 1900, un Français très distingué débarquait à Victoria, non comme réfugié ou colon, mais pour y occuper le premier rang à la direction de la province. Chose étrange, cette Colombie-Britannique si foncièrement anglaise par ses origines, est la seule qui eut pour lieutenant-gouverneur un Français de naissance.
La carrière politique de sir Henri-Gustave Joly de Lotbinière est assez curieuse. Il naquit à Épernay (Marne) en 1829. Son père, Pierre-Gaspard-Gustave Joly de Marval, était un calviniste dont les ancêtres avaient longtemps habité Genève. Par sa mère, Julia-Christine Chartier de Lotbinière, il se rattachait à cette famille qui, sous le régime français, avait occupé des charges au Canada pendant plus d’un siècle. Venu au pays autour de sa vingtième année, Joly étudia le droit, fut admis au barreau du Bas-Canada, devint député libéral du comté de Lobtinière et recueillit tout naturellement ce nom de sa mère.
Comme homme politique, il se montra l’un des plus ardents adversaires de la Confédération. Longtemps chef de l’opposition à Québec, il fut premier ministre pendant quelques mois, réussissant à se maintenir sans majorité. Au moment de l’affaire Riel, se trouvant en désaccord avec tous ceux de son parti, il crut devoir remettre son mandat, geste où le public vit une belle marque de probité. Lorsque les libéraux arrivèrent au pouvoir à Ottawa, Joly était membre de la Chambre des Communes. Laurier lui confia un portefeuille et quatre ans plus tard (1900), il le nommait lieutenant-gouverneur de la Colombie-Britannique. Ce gentleman de haute distinction, marié à une Anglaise et versé en sylviculture, s’acquitta parfaitement de ses fonctions.
Sir Henri-Gustave Joly de Lotbinière mourut à Québec en 1908. Son nom demeure attaché à la Fête des Arbres, dont il fut le grand inspirateur.[1]
- ↑ Jean-François de Galaup, La Pérouse, Baltimore, 1937
Th. Ortolan. O.M.I. Les Oblats de Marie-Immaculée, Paris, 1914.
Willard E. Ireland. The French in British Columbia, dans « British Columbia Historical Quarterly », 1949, vol. XIII, No 2.
Aegidius Fauteux, The Introduction of Printing into Canada, Montréal, 1930.
Pierre Foursin, La Colonisation française au Canada.