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heureux, a été pendant de nombreuses années propriétaire de la passerelle suspendue la plus longue du monde sur le fameux canyon Capilano. Citons encore : Yves Rioual, un autre Breton ; P. Gouraud, un Nantais : Léon Goguillon, venu du Manitoba.

Dans le monde des affaires, on remarque Pierre Mouriaucourt, courtier en grains. Dans les grosses industries nouvelles : Solétanches (barrages), Lafarge (ciment), qui peuvent se mesurer avec les plus puissantes de la province. La maison Solétanches a un contrat avec la « British Columbia Electric » pour la construction d’un barrage énorme dans la région de Bridge River, au nord de Vancouver. Au moment où ceci est écrit, le professeur Karl Terzaghi, de l’Université Harvard, qui en revient à titre d’ingénieur consultant, dit qu’il y a vu « un petit coin de France à la de Lesseps : camp sur lequel flotte le drapeau tricolore, une bande de gaillards spécialisés pour ce genre de travail, cuisine française, musique, etc. ».


Où l’on retrouve l’abbé Ferroux

À l’encontre des provinces de la Prairie, la Colombie-Britannique ne se prête guère au recrutement direct des colons, les terres propres à la culture y étant clairsemées et sans étendue. Les premiers Français, venus avec tant d’autres d’un peu partout, remontaient à la période de la ruée vers l’or et ne songeaient nullement à travailler le sol. Un certain nombre néanmoins, nous l’avons vu, s’étaient laissés tenter par la vie sur le ranch et dans les vergers.

Parmi les rares prêtres séculiers exerçant leur ministère au-delà des Rocheuses et s’intéressant à la colonisation, nous retrouvons l’abbé savoyard François Ferroux, dont le premier champ d’action a été l’Alberta. Nullement découragé par son insuccès notoire dans cette province, il la quitta au début de la première Grande Guerre pour la vallée de la Kettle, où il fut plus heureux. Des missions existaient déjà dans cette région voisine de l’Okanagan ; il en fonda quelques autres, en particulier celle de Carmi. Aux compatriotes savoyards installés ici et là il ajouta quelques familles. De Greenwood ou de Carmi, lieux successifs de sa résidence, il rayonnait sur un large territoire.

L’abbé Ferroux persévéra dans son dessein de mener de front la culture et le soin des âmes. Il y fut aidé par des parents qui l’avaient suivi au Canada. Deux nièces étaient à son service à Carmi. Un neveu, Michel Ferroux, qui avait épousé Marie Berger, d’Aiton, a laissé trois enfants, tous fixés dans l’Ouest. Avant son départ de Savoie, l’abbé, en homme pratique, s’était fait le protagoniste d’un projet d’assurances sociales de nature à secourir le clergé. On assure que jusqu’à la fin, il ne cessa de s’intéresser aux œuvres de son pays d’origine. Ayant passé la quarantaine lors de son arrivée dans l’Alberta, il avait atteint ses trois quarts de siècle lorsqu’il mourut à Vancouver en 1936.

Dès 1918, les autorités donnaient son nom à une montagne au nord de Carmi et à une rivière au sud. Ferroux désigne aussi une halte de chemin de fer dans les environs. Quant au centre de Rhône, il fut sans doute ainsi nommé par quelque Lyonnais ou Savoyard, en souvenir du grand fleuve de la terre natale, tout comme Arras et Valenciennes indiquent le passage de gens du Nord.


Deux Frères Basques dans la région de Kamloops

Avec les Savoyards, les Basques ont continué de fournir à ce pays de montagnes la meilleure part de ses émigrés français. Un exemple cueilli parmi d’autres. Il y a cinq ou six ans, Thomas et Pierre Abbadie, tous deux autour de la vingtaine et vrais prototypes du pelotari basque, quittaient leur village de Saint-Palais (Basses-Pyrénées) pour la Colombie-Britannique. Ils ne parlaient que le basque, mais Thomas a appris le français en travaillant d’abord pour un Suisse éleveur de moutons. Maintenant, il a la garde d’un troupeau de 400 têtes chez un Écossais des environs de Kamloops.

Magnifique métier, sain et varié, pour qui ne craint pas la solitude ! Le printemps, avec la mise bas et les soins aux agneaux nouveau-nés, est la saison la plus occupée. Ce n’est pas trop de l’adresse combinée du patron et du berger pour capter les mères et leurs agnelets, afin de les placer dans un parc spécial. Le troupeau passe l’été dans les montagnes du nord. Il faut être constamment en garde contre les ours, les loups et les couguars. À sa première saison, Thomas perdit cinquante-sept moutons, victimes de ces terribles ennemis. Sur les dix-huit ours tués dans le territoire, il en abattit douze à lui seul. Il descendit même — beau coup de fusil ! — un couguar tapi dans un arbre. La première décharge ne fit que blesser la bête féroce ; la seconde l’acheva pendant qu’elle fonçait sur lui. Mais au souvenir de ce rare exploit reste mêlé un peu de rancœur. Des Indiens lui demandèrent la dépouille de l’animal et il la leur abandonna. Plus tard, il apprit que le gouvernement versait une prime de $20 pour chaque couguar détruit. On ne l’y prendra plus…

Il y a aussi la récolte du foin pour l’hivernage des moutons. C’est peut-être le genre de travail que préfère Thomas. Il le reporte vers la petite ferme bien tenue de son père, à Saint-Palais, et la famille qu’il y a laissée. N’est-ce pas dans l’espoir de revenir un jour avec assez d’argent pour acheter leurs propres terres que les deux frères ont fait le sacrifice de s’éloigner ? Pendant que Thomas mène la vie solitaire du berger, Pierre travaille sur une ferme. Ils peuvent mettre de côté chacun $100 par mois. C’est peu, mais les Basques sont économes et ceux-là se trouvent loin des occasions de dépenses. Plus tôt qu’on ne pense, ils auront amassé le modeste pécule qui permettra la réalisation de leur rêve. À moins que, comme quelques-uns de leurs devanciers, se laissant prendre aux charmes du pays, ils ne décident de fonder un foyer dans leur patrie d’adoption.