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Chapitre XXIX


L’arpenteur général de la prairie : Édouard-Gaston Deville — Un savant Français : l’abbé Émile Petitot — Que sont devenus ces Français de l’Ouest ? — La survivance par l’école et la radio françaises — Les Français des vieux pays font leur part.


L’arpenteur général de la prairie : Édouard-Gaston Deville

Avant de clore cette étude, notons brièvement quelques aspects et quelques artisans de l’œuvre des Français dans l’Ouest canadien qui n’ont pu trouver leur place encore.

Le morcellement des immenses étendues des prairies pour les fins de la colonisation représentait une tâche colossale. Elle fut l’œuvre d’un Français, Édouard-Gaston Deville, qui y consacra quarante années de sa vie. Né à La Charité-sur-Loire (Nièvre) en 1849, le capitaine Deville était un ancien officier de marine spécialisé dans l’hydrographie. Il entra comme arpenteur-géomètre au service de la province de Québec, passa bientôt à celui du gouvernement fédéral, devint inspecteur en chef, puis arpenteur général du Canada. Les travaux d’arpentage n’avaient alors couvert qu’une faible portion du territoire aujourd’hui compris dans la province du Manitoba ; ils furent complétés sous sa direction. La méthode qu’il adopta pour mener à bien cette formidable entreprise se révéla si parfaite qu’on n’y a presque rien changé par la suite. Pionnier de la photogrammétrie, qui permet de mesurer les distances et les dimensions réelles sur une perspective photographique, Deville l’utilisa le premier, dès 1885, pour des levers dans les montagnes Rocheuses. Ce savant était doublé d’un administrateur incomparable. À la tête d’un personnel très nombreux et disposant de crédits considérables, il s’acquitta des lourdes responsabilités de sa charge avec une compétence et une intégrité parfaites. Le nom de Deville, qu’on a donné à une pointe des Rocheuses, est tenu en haute estime dans le monde scientifique canadien. Il fut l’un des membres fondateurs de la Société royale.


Un savant Français : l’abbé Émile Petitot

Un autre savant français dont le champ d’action fut aussi l’Ouest canadien : l’abbé Émile Petitot. Originaire de la Côte-d’Or, il passa un quart de siècle dans les missions oblates des Glaces polaires et sur les confins du Manitoba et de la Saskatchewan, partageant ses labeurs entre l’évangélisation des Indiens et la composition de remarquables travaux géographiques, ethnologiques et linguistiques. Au premier congrès international des Américanistes, tenu à Nancy en 1875, il défendit avec preuves à l’appui la thèse du peuplement du continent américain par des immigrations asiatiques. Sa Carte de l’Athabaska-Mackenzie fut éditée par les soins de la Société de Géographie de Paris. Il fit aussi imprimer un Dictionnaire de la langue Déné et un Vocabulaire français-esquimau. La Société de Géographie de Londres publia un mémoire sur l’Athabaska dû à sa plume et lui décerna l’une de ses plus hautes récompenses. De nombreux autres ouvrages de l’abbé Petitot sont consacrés aux légendes, coutumes, croyances et traditions des tribus de l’Extrême-Nord canadien. Le surmenage affecta gravement la santé de ce grand travailleur. Il passa les trente dernières années de sa vie à Mareuilles-Meaux, non loin de Paris, comme curé, occupant ses loisirs à écrire des livres populaires sur les Indiens qu’il avait tant aimés.

Il n’est pas hors de propos de rappeler ici que nous devons à des écrivains nés en France une large part de ce qui s’est publié en français, au Canada, sur l’histoire de l’Ouest. Les ouvrages de l’abbé Petitot et du P. Morice seront toujours utiles à consulter, ainsi que le travail remarquable du P. Jules Le Chevallier, Batoche, qui fait la lumière sur les événements controversés de 1885. Il faudrait rappeler aussi que dom Paul Benoit, l’un des grands colonisateurs du Manitoba, est l’auteur d’une monumentale Vie de Mgr Taché.


Que sont devenus ces Français de l’Ouest ?

Jusqu’à quel point ces Français de l’Ouest canadien, au contact des Anglo-Saxons et des Canadiens français, ont-ils conservé les caractéristiques et les sentiments de leurs frères du vieux pays ?

Plus heureux que leurs compatriotes émigrés au Mexique, en Californie ou dans l’Amérique du Sud, ils ont trouvé dans leur patrie d’adoption des frères de race et de croyance profondément enracinés au sol, auxquels ils n’ont eu qu’à s’intégrer pour renouer le fil de la tradition française. On a pu souligner l’inévitable différence de mentalité entre ces Français nés en France et ceux dont les ancêtres sont au pays depuis sept ou huit générations. Loin d’être un obstacle à la cohésion de ces éléments appelés à vivre ensemble, elle y