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apporte un stimulant et un enrichissement. En fait, l’expérience a montré que les Français réussissent mieux mêlés aux Canadiens ; et le voisinage profite aussi à ces derniers.

De toute façon, à l’exemple des premiers colons d’outre-mer venus peupler la Nouvelle-France aux siècles précédents, ceux qui ont suivi sont destinés à devenir tôt ou tard de vrais Canadiens français. Ce qui ne les empêche pas de demeurer, eux et leurs enfants, profondément attachés à la mère patrie. Ils en ont donné, deux fois en vingt-cinq ans, une preuve éclatante. En 1914, de forts contingents de ces colons devenus Canadiens d’adoption quittèrent spontanément leurs foyers pour rallier leurs régiments outre-mer. Lors du dernier conflit, les fils de ces mêmes soldats, nés pour la plupart dans l’Ouest, ont servi de préférence dans les forces canadiennes, avec leurs camarades canadiens. Plusieurs de ces familles, d’ordinaire nombreuses, ont compté trois ou quatre des leurs sur le front.

L’effondrement de la France, en juin 1940, créait une situation embarrassante et presque tragique pour ces groupes épars de Français entourés d’Anglo-Saxons et d’autres concitoyens de nationalités diverses. Par leur prompte adhésion au mouvement du général de Gaulle, ils atténuèrent l’effet de surprise et de stupeur causé par la défaillance du gouvernement de Bordeaux abandonnant son alliée la Grande-Bretagne ; ils conquirent dans leur milieu des amitiés sincères et actives. En dépit des obstacles inhérents à l’étendue du territoire et au caractère rural de la population, c’est dans l’Ouest que la cause des Français libres recueillit le plus d’adhésions au Canada.

Au Manitoba, le mouvement prit, dès le début, un rapide et magnifique essor, grâce à l’initiative d’un vétéran de la première Grande Guerre, Olivier Callède. En Saskatchewan, il naquit au sein de la colonie bretonne de Saint-Brieux, sous l’impulsion de Louis Demay. À Calgary, dans l’Alberta, le fondateur du comité, Baptiste Cayron, mourut à la tâche et sa veuve poursuivit le travail avec un dévouement admirable. Sur la côte du Pacifique, à Vancouver et à Victoria, les Français se groupèrent sous la direction d’Henri Triadou et de Mme Archibald. Tous ces comités et sous-comités réussirent à créer un vif courant de sympathie envers la France malheureuse et contribuèrent, par leurs dons généreux, à secourir sa population dans le besoin.


La survivance par l’école et la radio françaises

Liés par la force des choses aux Canadiens français dont ils ne se distinguent guère après une génération ou deux, les Français émigrés de date plus récente ont naturellement les mêmes chances de survie que leurs aînés. La question se pose toujours de savoir quel sort le cours des années fera à cette faible minorité périlleusement intégrée dans un grand tout anglo-saxon. La présence d’un fort groupe de colons venus directement de France n’a pu manquer d’être de tout temps d’un appui précieux, dans un pays où la lutte pour la langue est demeurée constamment à l’ordre du jour — même si ces Français ne se montrent pas, en général, assez combatifs.

L’armature paroissiale gardera son efficacité première tant que les groupements français demeureront confiés à des prêtres de leur langue. La multiplication indispensable des diocèses nous a déjà desservis sous ce rapport. Pour que le clergé d’origine française gardât sa situation privilégiée des débuts, il eût fallu que dès 1870, la province de Québec se mît à déverser son surplus de population dans les plaines de l’Ouest. C’est aussi toute la question des écoles qui eût été réglée du même coup. Pendant une trentaine d’années, elle a fourni à la politique canadienne un sujet d’irritantes controverses. Aujourd’hui, la situation s’est modifiée. Les parents du Manitoba, ne pouvant obtenir des autorités officielles, pour leurs enfants, l’enseignement complet auquel ils ont droit, ont pris en leurs propres mains le programme d’études en ce qui concerne le français et la religion. C’est l’œuvre de l’Association d’éducation des Canadiens français du Manitoba. Les autres provinces, où la situation scolaire diffère peu sensiblement, ont suivi l’exemple de leur aînée.

L’éducation secondaire se trouve solidement organisée. Au vieux Collège de Saint-Boniface plus que centenaire, entre les mains des Jésuites, sont venues s’ajouter des institutions similaires à Edmonton, à Gravelbourg, à Prince-Albert et à Falher. Sans parler des nombreux pensionnats de jeunes filles dirigés par des communautés françaises.

Mais l’enseignement n’est pas tout. La radio de langue anglaise envahissait les foyers canadiens-français, menaçant de ruiner le travail de l’école et des parents : les Canadiens de l’Ouest, aidés par leurs frères de l’Est, ont réussi à mettre sur pied des postes de langue française qui diffusent quotidiennement de Saint-Boniface, de Saskatoon, de Gravelbourg et d’Edmonton.


Les Français des vieux pays font leur part

On a parfois reproché aux Français nouveaux venus une certaine tiédeur à l’endroit de tous ces efforts nécessaires pour le maintien et la défense de leur langue, principe vital de la survivance du groupe. Quelques cas particuliers, si regrettables soient-ils, ne suffisent pas à ternir la situation générale. On ne peut espérer que des personnes de tout âge et de toute condition sociale, transplantées de leur pays natal dans une contrée nouvelle dont le passé leur est inconnu, se passionnent instantanément pour des questions auxquelles rien ne les a initiées. En fait, l’histoire des quarante dernières années montre plusieurs Français au tout premier rang du mouvement national. En Saskatchewan, à une certaine époque, cela frisa presque le monopole. Lorsque se fonde dans cette province, en 1911, l’Association Catholique Franco-Canadienne, le président, le vice-