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Page:Frémont - Les Français dans l'Ouest canadien, 1959.djvu/26

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Plusieurs types de Bretons pittoresques

« Un peu plus loin se trouvait la famille Jean-Marie Riou, des Bretons de Plouguerneau (Finistère). Mme Riou venait souvent à la maison. Elle donnait des conseils à maman sur la façon de faire le pain, de traire la vache, d’entretenir le feu, etc. Pour moi, les jeunes Riou étaient des phénomènes. L’un, très bon élève, faisait des progrès rapides. Un autre ne savait jamais ses leçons et se vantait de ne pas les étudier. Un troisième était l’ennemi irréconciliable des bas et des lacets de souliers. Deux des filles qui venaient à l’école étaient très gentilles et assez timides. En somme, tous de très bons enfants. Leur vocabulaire breton m’amusait. En rentrant à la maison, j’avais toujours une foule de choses nouvelles à raconter sur les Riou. Toute la famille a quitté Saint-Laurent, vers 1914, pour aller s’établir dans le nord-est de la Saskatchewan. Aujourd’hui, les parents sont disparus. Mort aussi Franchic (Petit François), Oblat. Deux des fils sont à Tisdale et deux à Arborfield. Ces colons honnêtes et travailleurs ont réussi à faire fructifier le petit capital apporté de France.

« Notre premier Noël au Canada a été le plus beau de ma vie — de notre vie, devrais-je dire, car toute la famille partageait mes sentiments. Nous avions retrouvée papa, parti dix-huit mois avant nous. Et puis, la pauvreté, les durs moments de cette existence nouvelle nous rapprochaient encore davantage les uns des autres. Pour nous, les mioches, n’était-ce pas aussi une aventure merveilleuse, ce Noël de neige, si différent des Noëls généralement humides, brumeux de Bretagne ? Ah ! on aurait aimé raconter cela dans toute sa splendeur aux copains de Brest !…

« Pour revenir à nos compagnons de voyage, Mme Jean Léost mourut peu après son arrivée. Elle laissait cinq enfants dont l’ainée, Camille, épousa Joseph Boucher — encore un gars de Plabennec — et éleva à Saint-Laurent une famille de dix. Un de ses fils est le Dr Joseph Boucher, établi à Saint-Jean-Baptiste. L’aïeul Jean Léost, maître maçon d’une rare habileté, a construit plusieurs des bâtiments en pierre de l’endroit : la nouvelle école, l’église, une écurie sur la propriété Kérouanton, une maison et des étables pour Hamon Colliou. Les roches, les galets des alentours — et il y en avait ! — fournissaient d’excellents matériaux.

« Une autre fille Léost, Hélène, est devenue Mme Pierre Combot. Lors de la rude traversée sur le Sardinian, Pierre, robuste et joyeux compagnon, était le boute-en-train de la bande. Sa bonne humeur nous avait guéris du mal de mer, du moins ceux qui, comme moi, n’étaient pas trop atteints. Mais cette pauvre petite Hélène souffrait terriblement. Il la prenait dans ses bras pour la monter sur le pont. Elle pouvait avoir cinq ou six ans ; lui venait de quitter le régiment. Qui se serait douté alors qu’elle deviendrait un jour sa femme ?… Ce garçon travailleur et intelligent a très bien réussi à Saint-Laurent, comme son beau-frère, Joseph Boucher. La dernière des filles de Jean Léost est morte assez jeune. Jean et Gabriel se dévouent dans les missions oblates.

« François Calvez avait amassé un bon magot, à Guissény, comme expert-évaluateur. Il acheta la grosse ferme des Morand. Je vois encore la famille passer en traîneau ou en voiture pour la messe du dimanche. Le bel attelage et les riches fourrures nous émerveillaient, nous dont les moyens de locomotion se réduisaient à nos jambes, heureusement infatigables. Les enfants étaient très gentils, mais on se voyait peu, car nous ne fréquentions pas la même école. Mme Calvez, en allant au village, s’arrêtait chez nous pour prendre une tasse de café. Excellente cuisinière, elle nous apportait quelquefois des gâteaux où des pains aux raisins de sa confection. Cette brave femme mourut en couches quelques années après son arrivée au pays. M. Calvez, à la suite d’un long séjour en France, est revenu à Saint-Laurent, chez l’un de ses fils, et est décédé en 1956, à 86 ans. Ceux restés sur la ferme y vivent confortablement. D’autres sont retournés au pays natal et il y en a aussi à Detroit. Une des filles est Franciscaine. Auguste habite Saint-Boniface et a joué assez souvent avec le Cercle Molière.

« Louis Palud aussi avait un peu d’argent et s’était assez bien installé à Saint-Laurent. Actif et entreprenant, il introduisit dans la colonie des machines très utiles, entre autres, une presse à foin et un arracheur de souches dont on parlait beaucoup. Il s’était associé avec son gendre, François Guillou, de Plouzévédé. Plus tard, ils allèrent se fixer à Aubigny, où ils sont encore.

« En Bretagne, Fanch Coz (Vieux François) Combot était braconnier et il le resta à Saint-Laurent. Bientôt il fut à la tête d’un « magasin général » et se spécialisa dans le commerce du poisson. Grand pêcheur lui-même, le premier à poser ses rets au début de l’hiver, sans toujours attendre que la glace fût assez résistante, il y perdit plusieurs engins et faillit plus d’une fois rester au fond du lac. En relation d’affaires avec de gros négociants de Chicago et de New-York, il y faisait de fréquents voyages et son entreprise connut un certain temps de prospérité. Fanch Coz Combot vit encore à Saint-Laurent avec sa femme. Dans mon enfance, je lui trouvais un air narquois, parfois terrible, avec son œil rond bleu clair, sa barbe rousse hirsute et ses grands gestes. Sous son chapeau du dimanche, il pouvait avoir l’allure d’un gredin ou d’un aristocrate campagnard. Ses enfants sont demeurés fidèles au lieu où ils ont grandi.

« La famille François Hulin était venue de Ploudaniel, où le chef était bedeau et fabricant de cercueils. Très tôt elle alla s’installer à Saint-Boniface, puis regagna la France avant la guerre de 1914. Le père y est mort quelques années plus tard. La mère a été tuée dans cet affreux bombardement de Brest, en 1940. Il ne reste plus au Canada qu’une fille, Mme Armand Camajou, qui habite Norwood.