Page:Frémont - Les Français dans l'Ouest canadien, 1959.djvu/28

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

res Bernicot, François Argoualc’h, François Bergot, Yves Le Guern, allaient et venaient, engagés dans les fermes ou ailleurs, l’hiver les ramenant presque toujours à Saint-Laurent. Marie-Anne Salou, de Plouguerneau, venue avec son frère, après un séjour en ville, épousa Hervé Kerbrat. Jean Bothorel, de Plabennec, qui prit pour femme Marie-Anne Doll, fille de François, passa avec elle en Saskatchewan. Ils s’établirent à Zenon Park, puis à Nipawin, où le chef de famille mourut en 1956, laissant sa femme, un fils et cinq filles.

« En 1914, la plupart de ces jeunes Bretons rejoignirent leurs régiments. Quelques-uns ne sont pas revenus, parmi lesquels Jean-Marie Buors, tué sur le front l’année suivante. D’autres sont restés en France après la guerre ou, si le Canada les a revus, ont pris une direction nouvelle.

***

« Le P. Péran prêchait parfois en breton, car plusieurs anciens comprenaient très mal le français. Les retraites de Pâques avaient un petit air de chez nous. Les silhouettes féminines, métisses et bretonnes, montraient une certaine ressemblance : coiffes blanches et châles noirs… Plus tard, lorsque j’ai connu le beau groupe de bronze de l’artiste canadien Suzor-Côté, « Femmes de Caughnawaga », le Saint-Laurent de mon enfance m’est apparu. Sauf les traits, évidemment, l’une de ces femmes devenait en imagination une Bretonne, avec la coiffe, le tablier, le châle. Cette similitude m’avait frappée lorsque je suis arrivée au pays, en voyant défiler une procession. Inutile d’ajouter que toutes les Bretonnes ne portaient pas le costume.

« Le P. Péran était un excellent religieux qui, en vrai Breton, se montrait parfois autoritaire et têtu. L’homme d’affaires de la mission, le Frère Jérémie Mulvihill, jouissait d’une certaine célébrité à l’extérieur. Il fut pendant vingt-deux ans préfet de la municipalité de Saint-Laurent et possédait des qualités reconnues d’administrateur. Le gouvernement canadien l’envoya dans son pays d’Irlande pour y recruter des colons. Il passait pour l’ennemi des Bretons, qui le lui rendaient bien. Comme commissaire d’école, il était chargé d’administrer aux élèves les corrections spéciales, ce qui donne à penser combien il était populaire dans ce milieu.

« Le P. Camper, qui venait de Morlaix, apparaissait de temps en temps, surtout à l’occasion des retraites. Son travail habituel consistait à visiter les missions autour du lac Manitoba. D’avoir vécu si longtemps parmi les Métis, ce petit vieillard original aux cheveux blancs avait fini par se confondre avec eux : il avait la figure toute ridée, la peau basanée et parlait le saulteux à la perfection. On voyait aussi à la mission le Frère Le Gall, de Guiclan, qui depuis longtemps déjà s’occupait de la ferme. Plus d’un compatriote trouva un conseiller éclairé dans cet homme discret et d’une sagesse rare. Il surveille encore la partie agricole au Scolasticat de Lebret, mais doit être bien vieux.

« Le premier mariage breton bénit par le P. Péran, à Saint-Laurent, fut celui des époux Primel. Le marié venait, lui aussi, des environs de Plabennec et la mariée, Jeanne, de Morlaix. Retournés en France avant la dernière guerre, après quelques années passées à Saint-Boniface, je crois qu’ils sont morts tous deux à Ploujean, près Morlaix.


Une noce à la mode de Bretagne

« Les Hamon Colliou, de Ploudaniel, venus en 1906, mariaient leur fille aînée, Marie, à Paul Buors, de Plougoulm, la semaine qui suivit notre arrivée à Saint-Laurent. Papa et maman étaient invités. La noce se fit comme en Bretagne. Le menu rappelait ces ripailles paysannes grasses et parfumées, obligatoires en de telles circonstances chez les gens de Cornouaille et du Léon. Un bon bouillon bien riche, des tripes (ah ! les tripes ! pas de noces sans tripes en ce temps-là !), du rôti, du « far » (farz en breton) — sorte de flan dans lequel on met beaucoup de petits raisins. Comme dessert, des gâteaux (scottennou) et des chansons — françaises et bretonnes. Je ne sais plus s’il y avait du vin. Il n’y avait certainement pas de cidre. Mais il y avait du whisky.

« Les Paul Buors sont restés à Saint-Laurent et y ont élevé une famille. Un fils de Hamon Colliou, Alexis, marié à la Jurassienne Alphonsine Mercier, s’y est établi également. Le père Colliou quitta le village pour s’installer plus au nord, près de l’ancienne propriété du duc de Blacas. Il fit construire par Jean Léost une maison et des étables en pierre, le tout d’apparence cossue. Comme François Hulin et papa, Colliou était un ancien marin qui, du fait d’une blessure accidentelle, touchait une petite pension du gouvernement français. Alors, quand les trois se rencontraient !… Mais c’était un gars de la terre et la culture lui était familière. J’aimais entendre son parler pittoresque, émaillé de jurons du même cru. Sa chique, sa casquette toujours de travers lui donnaient l’air un peu « casseur d’assiettes ». Dans le fond, un homme doux et bonasse.

« Les Bonnet avaient tenu commerce dans cette longue maison basse, à l’entrée du village, qu’habitait de notre temps Edmond Trudel. Celui-ci fabriquait encore du fromage ; je me rappelle fort bien en avoir vu dans la « réserve ». La maison en « logs » avait un petit air aristocratique, un peu québécois. À côté de celle de l’instituteur Delaronde, qui était en planches comme à la ville, elle faisait « colonial ». Le Métis Alexandre Delaronde, d’un extérieur très distingué, ancien élève brillant du Collège de Saint-Boniface, poète à ses heures, était maître d’école à la Pointe-des-Chênes et notaire public.

« Il y avait alors à Saint-Laurent trois « magasins généraux » : l’un tenu par l’Anglais Hepworth, l’autre par l’Écossais Robert Kerr, le troisième par le Métis Napoléon Chartrand. Ils achetaient peaux, poissons, racines aux habitants, qui y trouvaient en échange leurs appro-