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meure attaché au bureau de poste ; Auguste Legal, un intellectuel breton ; Socquet, Joseph Baron, Henri Richard, Sabot, Jean Barras, Rozière, Ledet, Favreau, Modéré Bruneteau. Est-ce la présence de ces pionniers français qui fit que Mgr Langevin plaça la paroisse sous le vocable de la patronne de Paris ? Ou voulut-il simplement honorer le zèle du fondateur l’abbé Giroux, né à Sainte-Geneviève de Berthierville ? Les deux motifs ne s’excluent pas et entrèrent sans doute dans le dessein du prélat. Auguste Legal épousa Hermine Baron et presque tous les enfants de cette nombreuse famille se marièrent avec des Canadiens français.

Les origines de Thibaultville se confondent un peu avec celles de Sainte-Geneviève. Le Breton Jean-Marie Judé, n’ayant pu s’y acclimater, plia bagage et partit avec sa famille pour la Californie. Le Lorrain Constantin Tauffenbach, habile peintre décorateur, vint s’y établir vers 1882. Nous trouvons aussi aux débuts de Thibaultville la famille Aurieux, de même que Bourgoin, des chantiers maritimes de Nantes, qui construisit deux bateaux pour la navigation sur la rivière Rouge.

Thibaultville eut son curé français : l’abbé Désiré Claveloux, à la carrière mouvementée. Né à Montbrisson (Loire) et ordonné à Montréal, il fut d’abord vicaire à Wauchope, paroisse de l’abbé Gaire, d’où il desservit le centre de Dumas. On avait alors besoin de prêtres disposés à embrasser le rite ruthène, pour s’occuper des immigrants venus de Galicie. L’abbé Claveloux passa deux ans dans leur pays, pour s’initier à la langue et à la liturgie, ce qui lui permit d’exercer le ministère parmi cette population négligée. La guerre le ramena en France où il servit comme aumônier militaire. De retour au Manitoba, il fut durant vingt ans curé de la paroisse de Thibaultville. Revenu en France en 1939 et surpris par la seconde Grande Guerre, il se rendit utile dans le diocèse de Lyon et décéda retiré à Vernaison (Rhône) en 1951.


Henri d’Hellencourt, colon amateur, tribun et journaliste

Henri Lefebvre d’Hellencourt, ancien officier de cavalerie né en Champagne, apparut au Manitoba dès 1891 et y vécut une quinzaine d’années. La période la plus dure fut celle qu’il passa quelque part dans la région de Sainte-Anne, s’essayant à la culture. Cet homme jeune et vigoureux, de stature impressionnante, était peu doué pour le travail de colon. Dans la belle saison, le visiteur pouvait contempler devant sa porte un magnifique parterre de lis rouges, plante indigène, il est vrai, mais qui contrastait singulièrement avec la modestie de la demeure et l’aspect sauvage de la forêt environnante. Il charriait de temps en temps à Winnipeg dans un traîneau tiré par deux cayouses, une charge d’épinettes rouges en longueur, pour vendre comme bois de chauffage. En passant à Lorette, il faisait halte chez son ami, Médéric Gendron, un ardent libéral comme lui.

— Je porte mon Red Fyfe en ville !… lançait-il avec un clin d’œil.

La petite Constance Gendron fut longtemps intriguée par cette phrase mystérieuse, avant de découvrir qu’il s’agissait d’une marque célébre de blé et qu’on avait pris l’habitude d’appeler l’épinette rouge le Red Fyfe des pauvres gens. D’autres fois, il était à cheval sur un bronco. Et la même fillette admirait avec quelle grâce et quelle légèreté ce parfait cavalier enfourchait sa monture et en descendait. D’Hellencourt prit homestead à l’endroit où se trouve aujourd’hui l’église de Marchand, plus au sud, et on le vit moins fréquemment sur la route.

Ce colon amateur devait finir par trouver sa voie dans la politique et le journalisme. Le souvenir qu’en ont gardé ceux de sa génération est celui de l’ardent polémiste et de la part qu’il prit aux campagnes électorales. Il donna du fil à retordre à Alphonse Larivière, pourtant rompu à toutes les ruses du métier « Je vais prendre le taureau par les cornes ! » annonçait-il en guise d’entrée en matière. Et il fonçait sur l’adversaire avec une bordée d’arguments et un déluge verbal sous lesquels le vétéran de la politique se trouvait submergé.

Un jour, c’est au cours de sa harangue que d’Hellencourt lança son mot de guerre fameux : « Maintenant, je vais prendre le taureau par les cornes !… »

— Est-ce à moi que vous lancez ce défi ? demanda Larivière qui avait la corpulence de l’animal en question.

— Non, pas à vous-même, cette fois, mais au taureau dont vous venez de tortiller affreusement la queue…

Le Champenois avait pour lui les rieurs et les nombreux amateurs de débats spectaculaires. C’était le beau temps des joutes oratoires dont le public se passionnait. Mais le tribun ne connut pas le même succès comme journaliste, avec son Écho du Manitoba. Les Canadiens de ce temps-là aimaient moins à lire qu’à écouter de bons orateurs.


De Chamonix à La Broquerie

Entre Sainte-Anne et Marchand, le centre important de La Broquerie eut aussi ses colons français. Le premier semble avoir été, vers 1885, Charles Franchon, de Lille, beau-frère du musicien Paul Salé. Sa mère vint lui tenir compagnie. Au bout de deux ans, ils éprouvèrent le besoin d’aller passer en France la période des gros froids, et ils ne revinrent pas. Cependant, Mme Franchon envoya J. Malet, de Cambrai (Nord), pour prendre soin de la ferme.

Plus tard, la chronique signale la présence d’autres Français : Henri de Pourq, Bigot, Fiola, Benjamin Vielfaure et sa femme, née Rosalie Vincent, ont fait souche à La Broquerie et aussi Alfred Choiselat, venu du Pas-de-Calais, qui fut pendant nombre d’années instituteur.

Édouard Charlet était boulanger à Chamonix (Haute-Savoie) lorsqu’il vint au Canada avec sa famille en 1894. Après un séjour à