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occupé divers autres postes dans l’Ouest, l’abbé Perquis mourut à Dinard (Ille-et-Vilaine) en 1921. Son successeur, l’abbé Louis Lebraud, très distingué et de santé délicate, y demeura le plus longtemps, cinq années. L’abbé Régis Gimbert, du diocèse du Puy, qui ne fit que passer, fut le dernier prêtre venu de France. À partir de 1902, Fannystelle aura des curés canadiens-français.

Georges Duflos, l’un des derniers arrivés des fils de famille, devait finir tragiquement. Deux ans après son installation, revenu à Paris, il épousait à Saint-Pierre de Chaillot sa cousine germaine, Marie-Marguerite Tiersonnier, qui vint partager sa vie sur le ranch. Rentrant un jour de chasse, Duflos passait chez lui d’une pièce dans une autre lorsque son fusil heurta une porte et se déchargea brusquement. Le malheureux, atteint à l’épine dorsale, succomba après quelques heures d’atroces souffrances et la réception des derniers sacrements. Il était âgé de 37 ans.

Sa veuve, avant de s’éloigner pour toujours, fit loger une balle dans l’oreille de chacun des deux chevaux pur-sang qu’elle laissait derrière elle. Ce fut le dernier scandale causé par les Parisiens. L’avant-dernier plutôt, si l’on s’arrête à certaines rumeurs mal fondées. Louis Allart, qui était l’ami intime du défunt, accompagna Mme Duflos ramenant en France les restes de son mari. Environ un an après, ils se marièrent. Allart est mort depuis quelques années, dans la région parisienne.


Canadiens français à la rescousse

À la suite de départs assez nombreux, Fannystelle ne comptait plus que 244 âmes et son avenir inspirait des craintes. Pour consolider la paroisse, on dut faire appel à l’élément canadien-français, qui répondit généreusement. Avec le temps fut reconquis peu à peu le terrain qui avait été perdu. Ainsi Mgr Langevin put-il inscrire au registre paroissial une phrase qui résume admirablement toute l’histoire de Fannystelle : « Cette paroisse a été commencée grâce aux libéralités de Mme la comtesse d’Albuféra, de France, qui a voulu honorer la mémoire de Fanny Rives en la faisant briller comme une étoile au Manitoba, enrichi d’un nouveau centre catholique et français ; et elle a été sauvée de la ruine par de braves colons venus de Québec. »

Mais une dure épreuve l’attendait encore. La chapelle des débuts, même agrandie, était devenue bien insuffisante. Sur le même emplacement, on éleva une église plus vaste. Le lendemain du jour où elle fut officiellement livrée à la paroisse, le feu s’y déclarait en plein jour et au bout de deux heures, il ne restait plus de la belle construction neuve qu’un amas de cendres. Courageusement et sans délai, on reconstruisit sur le même plan.

Fannystelle est aujourd’hui une paroisse canadienne-française comme les autres, heureuse et prospère. L’éclat fugitif de son trop brillant départ n’a laissé aucune trace. Rares sont les témoins qui peuvent encore en parler avec quelque précision. L’histoire romantique de sa fondation, toujours évoquée par le buste de Fanny Rives, ressemble à une lointaine légende du passé qui laisse à ce coin du sol manitobain un vague parfum de vieille France.[1]

  1. Noël Bernier, Fannystelle, Saint-Boniface, 1940.