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la fanfare de Sainte-Rose jouit d’une grande renommée dans toute la région et fut au programme de toutes les fêtes. Son chef avait réussi à porter le nombre de ses exécutants à vingt-six. Elle connut son apogée en 1912, dans un grand concours tenu à Dauphin où elle remporta le premier prix. C’était le résultat du long et patient travail de Fouchard. Mais, engagé dans l’industrie forestière, il était alors établi à Grandview, où il demeura dix ans et remit sur pied la fanfare locale. Pendant ce temps, celle de Sainte-Rose, privée de son vrai chef, se disloquait. À Saint-Boniface, où l’amena l’éducation de ses enfants et où il mourut en 1940, Henri Fouchard fut l’un des piliers de la Fanfare La Vérendrye, que dirigeait Joseph Vermander. Il avait épousé Hélène Bertrand, qui lui survit avec plusieurs enfants.

Louis Fouchard décéda à Sainte-Rose vers le même temps que son frère, laissant la suite de ses affaires à son gendre, Auguste Pineau. À un ami qui lui demandait ses impressions au retour d’un voyage au pays natal après quarante ans d’absence, il faisait cette réponse laconique : « Trois principales : 1) Je ne crois pas qu’il y ait au monde un pays plus beau que la France. 2) Que les Français ont donc changé ! Ils sont gentils et charmants, mais quelles idées !… 3) Pour mon malheur, je ne pouvais plus boire de vin, en ayant perdu l’habitude au Canada… »

Les époux Pierre Mignon étaient d’âge avancé déjà quand ils vinrent, de la Nièvre, s’installer sur des terres avec leur famille. De leurs trois fils, Pierre, Albert et Michel, les deux premiers firent la guerre de 1914 et Albert y fut tué. Pierre revint marié à la veuve Suzanne Alexandre, mère d’un petit garçon. Albert Alexandre devait tomber à son tour dans la seconde Grande Guerre. Leur fille, Marie, épousa Ambroise Lecot ; un de leurs fils est devenu médecin, attaché au sanatorium de Ninette. Le fils de Michel, René, est conseiller de la municipalité rurale de Sainte-Rose. À la mort de Pierre, ses enfants se dispersèrent et sa veuve épousa Azarie Neault.

Soulignons en passant le groupe d’émigrants fournis à la région par le département de la Nièvre. En plus des Fouchard et des Mignon, il y eut les familles Bourgeois, Gobillot, Bourdin et Lecot. Plusieurs mariages unirent d’ailleurs ces Français de même origine.

Le baron de la Ru du Can, ancien officier de cuirassiers, né à Vendôme (Loir-et-Cher), avait deux fils et deux filles. Il fit de l’agriculture pendant quinze ans sur une propriété de 1,280 acres et se spécialisa dans l’élevage des chevaux de selle pour la Police montée. Un neveu, Henri de la Ru du Can, qui avait épousé Yvonne de la Giclais, séjourna quelque temps non loin de son oncle.

Un autre ancien militaire, le vicomte Achille de Montbel, de Paris, avait aussi trois fils. Il succéda à Henri d’Hellencourt comme agent consulaire de France au Manitoba, sans abandonner ses terres, ce qui l’obligeait à de fréquents déplacements entre Sainte-Rose et Winnipeg.

Le comte de la Fonchais, de Bréhan (Morbihan), père de dix enfants, quitta sa Bretagne convaincu qu’avec la loi de séparation, il lui serait impossible de leur procurer une éducation catholique. Comme les deux précédents et plusieurs autres, il apportait des capitaux. Ces familles s’installèrent confortablement dans de spacieuses demeures dont quelques-unes avec un certain cachet presque seigneurial. Celle du comte de la Fonchais existe encore, à peu près intacte. Elle est la propriété d’Auguste Brunel, venu en 1912 de la Chapelle, village voisin de Ploërmel (Morbihan). Lui et sa femme, à leur arrivée, travaillèrent sur la ferme de la Ru du Can, à raison de trente dollars à eux deux pour la saison d’été. La famille Brunel possède aujourd’hui douze quarts de section.


Des bancs de la Sorbonne au défrichement du sol et aux affaires

Les Bretons affluent surtout à partir de 1905. Le Finistère envoie : Pierre Toulhouat et Corentin Le Seach, de Quimper ; Alain Huitric et son frère, Hervé, frère Oblat à Saint Boniface, Jean-Louis Lanchèze, René Pennarum et Jean Blanchard, de Briec ; les deux frères Jean-François et Jean-Louis Maguet et Louis Maguet, de Saint-Thégonnec, ce dernier d’une autre famille que les précédents. Les Maguet ont eu des familles assez nombreuses. La plupart de leurs enfants, solidement établis à Sainte-Rose et à Laurier, comptent parmi les cultivateurs les plus prospères. De l’Ille-et-Vilaine viennent Joseph Renault et les Pinvidic. Du Morbihan, François Le Gal et Armand Granger, d’Hennebont : François Raffray et son frère, Victor, de Bréhan.

Six autres jeunes Morbihannais étaient d’anciens élèves frais émoulus du Collège des Jésuites de Vannes, où la propagande en faveur de l’Ouest était venue les atteindre. Jean et Joseph Audic, fils du médecin de l’institution, avaient pris les devants. Joseph Molgat, de Ploëmeur, et Jean-Louis Guillas, de Mendon, ayant achevé leurs études secondaires à Vannes, avaient accompli un an de service militaire et s’étalent inscrits à la Sorbonne pour la licence ès lettres. Mais l’appel du Grand Ouest canadien l’emporta sur la gloire des diplômes académiques. Aux vacances de Pâques 1906, ils abandonnaient le Quartier latin pour se diriger vers le Manitoba.

Quelques mois plus tard, Louis Molgat, frère de Joseph, passait son baccalauréat classique à l’Université de Rennes et Léon Koun, de Baden, son premier examen de première année de licence lettres-histoire à la Sorbonne. En octobre, tous deux venaient rejoindre leurs camarades à Sainte-Rose. Joseph Molgat avait déjà fait l’acquisition d’une ferme d’une demi-section, avec de bons bâtiments neufs. Les nouveaux venus prirent le temps de goûter à la vie agricole un peu rudimentaire du pays et, au bout d’une année, décidèrent de retourner à leurs études en France. Après la licence en droit, ce fut le service militaire, et puis la