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Chapitre X


Dom Paul Benoît, le grand colonisateur de la « Montagne Pembina » — Fondation de N.-D.-de-Lourdes, en pleine forêt, et débuts particulièrement difficiles — La « Bataille des Drapeaux » — Une colonie exemplaire — Le baron Jehan de Froment, cultivateur, conférencier agricole, avocat et agent d’immeubles — Le Dr Albert Galliot — Le marquis de la Roche-Aymon, musicien accompli


Dom Paul Benoît, le grand colonisateur de la « Montagne Pembina »

La « montagne Pembina », qui chevauche la ligne frontière du 49e parallèle entre le Canada et les États-Unis, brise fort heureusement la monotonie de la grande plaine. Sa longueur est d’environ 80 milles, dont 50 au Manitoba. Sa largeur, de quelque 25 milles, s’étend jusqu’à la rivière Souris. Parler de montagne est un peu exagéré. Il s’agit plutôt d’un terrain élevé, légèrement accidenté, coupé ici et là de vallées sans profondeur, où serpentent de minces ruisseaux. Ces accidents proviennent des dépôts glaciers ou de l’érosion produite par les glaces de l’époque quaternaire. L’altitude du plateau varie de 1,400 à 1,700 pieds au-dessus du niveau de la baie d’Hudson où ses eaux se déversent. Elle domine de 500 pieds seulement la plaine avoisinante. Le point culminant au Manitoba dépasse un peu 1,750 pieds, à deux milles à l’est de Bruxelles, d’où la vue embrasse un magnifique panorama. Le nom de Pembina désigne, dans la langue des Ojibwés ou Saulteux, le fruit du Viburnum opulus, joli arbuste de la famille des caprifoliacées, très commun sur le plateau, particulièrement le long des cours d’eau.

La colonisation de la montagne Pembina fut en grande partie l’œuvre de dom Paul Benoôt, membre illustre de l’Institut des Chanoines de l’Immaculée-Conception, qui eut pour berceau la petite ville de Saint-Claude (Jura). Désireux d’attirer de nouvelles populations catholiques dans son vaste diocèse, Mgr Taché, en même temps qu’il faisait appel à la province de Québec, s’était adressé, dès 1889 à dom Gréa, fondateur de cet ordre, pour lui demander quelques-uns de ses religieux et des colons. L’année suivante, dom Benoît fut envoyé au Manitoba pour y étudier sur place les possibilités d’un établissement de sa communauté.

Né aux Nans (Jura) en 1850 et entré dans la congrégation à l’âge de 28 ans, ce religieux jouissait déjà, dans le monde ecclésiastique, d’une haute réputation d’écrivain. Par son contact avec des prêtres canadiens rencontrés à Rome ou hôtes des Chanoines du Jura — en particulier l’abbé Labelle, célèbre colonisateur — dom Benoît avait depuis quelque temps les yeux sur le Canada. Avec ses riches ressources naturelles, ses fortes croyances et ses familles nombreuses, ce pays lui apparaissait plein d’avenir pour les catholiques. Il y voyait aussi une terre de liberté pour les communautés religieuses inquiétées en France. Ainsi, les plans de l’archevêque de Saint-Boniface et ceux du moine colonisateur se rejoignaient.

À Londres, dom Benoît rencontra la famille Jean-Pierre Pantel, Augustin Rozière et Augustin Bonnefoi, en route pour le Manitoba ; tous firent le voyage ensemble.

La région de la montagne Pembina possédait déjà les embryons de paroisses de Saint-Léon et de Saint-Alphonse. Un prêtre alsacien, le P. Théobald Bitsche, ancien religieux du Précieux-Sang, avait attiré dans cette dernière quarante familles de langue allemande, tandis que la première allait rassembler des Belges et des Flamands. Le journaliste Louis Hacault, du Courrier de Bruxelles, dont les descendants habitent le Manitoba, devait être l’un des premiers colons du centre qui porte le nom de la capitale belge.

Le curé de Saint-Léon reçut chez lui l’envoyé de dom Gréa. Il le conduisit à 14 milles au nord, dans un lieu désert et assez fortement boisé. C’est là que le fondateur décida de jeter les bases de Notre-Dame-de-Lourdes, destinée à devenir l’une des paroisses les plus populeuses du diocèse de Saint-Boniface.

En 1890, on y trouvait vingt familles canadiennes de la province de Québec disséminées un peu partout, principalement dans la partie du sud-ouest. Quelques immigrants de France firent aussi leur apparition peu avant le retour de dom Benoît avec son premier convoi de colons : Pierre Bazin, de Fougères (Ille-et-Vilaine) ; Jean Blain, de Pouillé (Loire-Atlantique), avec sa femme et cinq enfants ; François-Marie Daudin, de Pierric (Loire-Atlantique), avec son épouse et ses trois fillettes ; Reboul de la Lozère ; Michel Dudoué, de Bressuire (Deux-Sèvres). Un peu plus tard, aux premiers mois de 1891, ce furent : Augustin Poiroux, des Deux-Sèvres ; la famille Chavert, de l’Aveyron ; Jean-Baptiste Pantel, Jean-Baptiste et Auguste Comte, la famille Vaillant et la famille François Vigier avec dix-sept enfants, tous de la Lozère.

Le benjamin de la famille Blain, Joseph, âgé de douze ans au moment de la traversée, est demeuré célibataire. Aujourd’hui, septuagénaire et infirme de longue date, il garde des