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mais à… Fannystelle ! Débarqué à New-York, il n’avait pas eu la force d’âme nécessaire pour s’en éloigner tant qu’il s’était senti de l’argent en poche. Enfin venu à Winnipeg grâce à l’aide financière d’un ami de rencontre, il y fit la connaissance d’un compatriote de son âge qui le convainquit aisément que son avenir était à Fannystelle, et non chez les moines de la montagne Pembina. Mis au courant de l’escapade, le père câbla au fils récalcitrant l’ordre formel de rejoindre le lieu de destination dans les huit jours, sans quoi les vivres lui seraient coupés à tout jamais. L’enfant prodigue se soumit et gagna le bercail de la montagne de Pembina.

La colonie de dom Benoit continue de grandir avec la même régularité prometteuse. À la fin de 1902, la population se chiffre à 767 habitants distribués en 163 demeures ou familles. La très grosse majorité de ces cultivateurs ne possèdent qu’un quart de section de 160 acres (64 hectares). Depuis 1893, la superficie de terrain en culture a passé de 857 à 5,000 acres. Le cheptel a augmenté dans des proportions équivalentes : les chevaux, de 83 à 415 ; les bêtes à cornes, de 711 à 1,186. Dans les trois dernières années, ces colons venus presque sans le sou ont réussi à acheter le plus grand nombre des terres des compagnies. La paroisse de Lourdes est si bien affermie qu’elle essaime déjà dans les régions voisines. Elle a même fourni des recrues à de nouveaux centres de la Saskatchewan et de l’Alberta.


Le baron Jehan de Froment, cultivateur, conférencier agricole, avocat et agent d’immeubles

Dans la première phase de l’établissement, le personnage le plus en vue, après le fondateur, est certes Jehan de Froment. Le baron Jehan de Froment de Champdumont, né à Moulins (Allier), se rattache aux familles Comborn, Lusignan et Pompadour. Par l’une de ses ancêtres, la princesse de Rohan-Rochefort, il peut se réclamer d’alliances avec toutes les maisons régnantes d’Europe. Ancien officier de marine, c’est un moins de trente ans de belle prestance et fort intelligent, taillé pour faire n’importe où un notable — à l’instar de son père qui fut pendant près d’un demi-siècle maire de Saint-Mars-de-Coutais (Loire-Atlantique). Dans l’exploitation de sa ferme, il devance tous les autres et sera le premier à se servir d’une charrue bissoc. Il cumule tout de suite plusieurs fonctions : juge de paix, notaire, agent d’affaires, correspondant du journal Le Manitoba, etc. Comme talent de société, il fait de la prestidigitation avec un art de professionnel.

En juillet 1895, il épousait Rose Moreau, fille de Louis Moreau, Canadien français qui fut l’un des premiers à s’établir sur le territoire de Notre-Dame-de-Lourdes. La cérémonie revêtit un apparat tel qu’on n’en avait jamais vu et qu’on n’en revit de longtemps dans la région. La renommée de Jehan de Froment ne tarda pas à franchir les limites de la montagne Pembina. II se fit connaître au dehors par l’invention d’un système d’avertisseur en cas d’incendie. Une démonstration devant le corps des sapeurs-pompiers de Winnipeg impressionna vivement ces experts. Il se rendit jusqu’à Syracuse, aux États-Unis, pour renouveler son expérience devant une réunion de chefs de pompiers américains et canadiens. Lorsque le gouvernement provincial décida de nommer deux conférenciers agricoles, il fut celui de langue française. Grâce à ses connaissances dans la matière et à sa facilité d’élocution, il s’acquitta avec honneur de cette fonction.

Mais las de la culture, Jehan de Froment vendit un jour ses terres et alla étudier le droit à Winnipeg. Puis il le pratiqua avec succès à Somerset, pour le compte du bureau légal des frères Bernier, en même temps qu’il reprenait ses affaires d’immeubles. C’est là que devait se passer la plus longue étape de sa carrière. Un peu avant 1930, touché par la crise financière, il céda aux instances d’un ancien copain lourdois des débuts, Carnac, et partit témérairement avec sa femme pour Malacca (Malaisie britannique). Un emploi de tout repos et des appointements fabuleux l’y attendaient dans une mine d’étain exploitée par une compagnie française. Le seul désavantage de cette sinécure était de transplanter un sexagénaire de l’Ouest canadien sous un climat équatorial. Il ne put tenir plus d’un mois et Mme de Froment faillit y perdre la vie. Les qualités d’homme d’affaires de l’ancien notable de Lourdes et de Somerset furent en dernier lieu au service des Sœurs Grises de Saint-Boniface. Les Froment moururent tous deux en 1937. Ils avaient eu deux filles qu’ils perdirent l’une à 16 et l’autre à 23 ans.


Le Dr Albert Galliot

Un centre comme Notre-Dame-de-Lourdes devait avoir son médecin français. Le Dr Albert Galliot, né à Reims et diplômé de la faculté de Paris, avait pratiqué neuf ans en Lorraine lorsqu’il décida d’aller s’y établir. Il arriva seul, incognito, et se mit à travailler comme manœuvre à la construction d’une voie ferrée dans le voisinage. Dur métier pour un homme qui n’avait jamais manié le pic et la pioche ! Dom Benoît, qui l’hébergeait dans son presbytère et qui savait tout, vint un jour l’arracher à son chantier.

— Docteur, il faut que vous veniez immédiatement soigner trois malades atteints de typhoïde !…

— Qui vous a dit que j’étais docteur ?…

— Peu importe. Je vous le répète : il faut que vous veniez sur-le-champ.

Il y avait dans le regard et le geste du religieux une telle force de commandement que l’interpellé laissa là ses outils et le suivit sans hésitation.

Grâce à l’intervention du Dr Lachance, de Saint-Boniface, le Dr Galliot obtint promptement la reconnaissance de ses diplômes. Il put alors faire venir les siens et reprendre au Manitoba une carrière qui allait être longue et bienfaisante. La vocation canadienne de ce médecin vaut sans doute d’être notée. Se sentant un vif attrait pour la politique, nous a-t-il dit,