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Chapitre XII


Saint-Norbert, centre de Lorrains, et l’abbaye cistercienne de Notre-Dame-des-Prairies — Le Dr Octave Lemaire et l’abbé Charles Gandos — Une Savoyarde principale de l’école des garçons pendant un quart de siècle — « Notre-Dame-de-France », industrie de conserves françaises — Saint-Adolphe et les Filles de la Croix-Saint-André


Saint-Norbert, centre de Lorrains, et l’abbaye cistercienne de Notre-Dame-des-Prairies

L’accès facile de Saint-Norbert, aux portes de Winnipeg et de Saint-Boniface, devait y attirer des immigrants français. Nous avons vu le Lorrain Charles Vouriot y arriver dès 1875. Après avoir travaillé quelque temps comme journalier, il put acheter une terre et ne tarda pas à devenir un cultivateur prospère. Louis Vouriot, son frère, n’eut pas moins de succès. Ses concitoyens l’élurent président de la municipalité de Ritchot. Le maître de poste actuel de Saint-Norbert est un descendant de ces premiers Vouriot. On trouve aussi, là et dans les environs, Joseph et Louis Goffart, J.-B. Thelière, Joseph Moisson, Henri Grousseau, Émile Masson, tous des Lorrains.

La localité devait s’enrichir d’une remarquable institution religieuse et agricole, don en quelque sorte de la France à l’Ouest canadien. Depuis longtemps, Mgr Taché et le curé de Saint-Norbert, l’abbé Ritchot, désiraient doter le pays d’une maison de Trappistes. Ils parvinrent à réaliser leur projet en 1892, avec le concours de la célèbre abbaye de Bellefontaine (Maine-et-Loire), dont Notre-Dame-des-Prairies fut d’abord une filiale. On choisit pour cela un terrain d’environ 1,500 acres, dans un site agréable et pittoresque, sur la rivière Sale.

Les premiers religieux, venus en bloc du grand monastère angevin, sont tous aujourd’hui décédés. Le premier supérieur, le P. Louis, s’appelait dans le monde le comte Raoul de Bourmont. C’est un petit-fils du maréchal de même nom qui avait conquis l’Algérie à la France (1830). Il mourut en 1935, après avoir passé quarante-deux ans à la Trappe de Saint-Norbert. Celle-ci fut érigée en prieuré (1924), puis en abbaye (1955).

Destinée, dans l’esprit de ses fondateurs, à inculquer aux Métis du voisinage le goût du travail agricole, Notre-Dame-des-Prairies a bien dépassé le cadre de son programme initial. C’est toute la population rurale de la province qui bénéficie des expériences et des réussites de ces admirables cultivateurs.

Nous avons vu Jacques d’Aubigny, l’ancien colon de Sainte-Rose-du-Lac, entrer à la Trappe de Saint-Norbert. Une autre recrue de milieu semblable, qui l’y précéda, fut un autre Normand, Joseph Le Verdois, né à Caen. Muni du diplôme d’ingénieur, après un bref séjour en Afrique, il était venu au Manitoba à 26 ans et nous avons noté sa présence à la bénédiction de l’église de Fannystelle. C’est quatre années plus tard que, revenant des États-Unis, il se présenta à Notre-Dame-des-Prairies, dont il fut le premier novice. Le P. Joseph rendit des services très appréciables à la maison en présidant, comme ingénieur, à l’établissement de ses premières industries. Devenu aveugle, il mourut en 1941, après quarante-huit ans de vie religieuse.


Le Dr Octave Lemaire et l’abbé Charles Gandos

Saint-Norbert semble avoir attiré des Français à la recherche d’une retraite paisible. Ce fut le cas, en particulier, du Dr Octave Lemaire, né à Croy (Oise). Il arriva avec sa famille à l’âge de 46 ans, comptant vivre humble et caché en s’adonnant à la culture. Ce médecin était doublé d’un musicien et d’un savant intéressé aux dernières découvertes. Il installa chez lui un laboratoire, ainsi qu’un observatoire astronomique et météorologique. Le docteur ne trouva à Saint-Norbert qu’une tranquillité relative. On ne tarda pas à solliciter ses services, qu’il ne refusa jamais. Il fut commissaire d’école jusqu’à sa mort. Les malades firent appel à l’ex-praticien et il opéra de nombreuses cures. Bon pour les miséreux, il leur dispensait gratis conseils et remèdes. Mais la Faculté de Winnipeg s’émut et l’obligea à subir un examen. On le complimenta de sa science et il fut autorisé à pratiquer. Le Dr Lemaire décéda en 1904, regretté de tous, après un séjour de neuf années.

L’abbé Charles-Henri-Gaston Gandos, né à Digne, avait été, en France, professeur de séminaire. Vers 1895, il fit un premier voyage au Canada et revint six ans plus tard, pour se fixer définitivement à Saint-Norbert. Il y passa trente-neuf années de vie simple et studieuse, comme aumônier de l’Asile Ritchot et professeur de théologie à la Trappe, laissant le souvenir d’un ecclésiastique charitable, digne et courtois.

Il est presque impossible d’énumérer tous les colons venus de France qui vécurent à Saint-Norbert. En 1895, nous voyons un ancien instituteur, Jean-Bartélemy Vizioz, s’y installer avec sa famille sur une propriété. C’est là aussi que les Pinvidic, de Montauban (Ille-et-Vilaine), eurent leur premier home.