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Une Savoyarde principale de l’école des garçons pendant un quart de siècle

Plusieurs Français y ont fait de l’enseignement. Dès 1874, nous y trouvons un Louis Denis, au lieu d’origine inconnu. Le vicomte Henri de Moissac, né à Poitiers, bachelier ès lettres et ès sciences, arriva au Manitoba en 1899, précédant de cinq années ses parents et le reste de la famille. Il acheta une ferme à Saint-Norbert. Plus tard, il fut instituteur au même endroit et dans plusieurs autres centres français de la province. Il devint ensuite successivement secrétaire-trésorier des municipalités de Saint-Norbert et de Saint-Boniface, Henri de Moissac, qui avait épousé Agnès Lachance, de Saint-Norbert, a laissé douze enfants dont plusieurs sont entrés dans les ordres.

On gardera longtemps le souvenir de Mme Alphonse Houde, fille ainée des époux Charlet, de La Broquerie, qui fut pendant un quart de siècle principale de l’école des garçons à Saint-Norbert. Ancienne vice-présidente de la Ligue des Institutrices de langue française du Manitoba, ancienne vice-présidente du Cercle Molière, elle a pris part à plusieurs concours d’art dramatique avec la troupe de ce cercle. Mme Houde est titulaire de la distinction Canadian Drama Award, pour services rendus à l’expansion de l’art dramatique et du théâtre français dans la province. Durant la dernière guerre, elle organisa à Saint-Norbert un groupe de dames canadiennes-françaises pour aider l’Œuvre de secours à la France.


« Notre-Dame-de-France », industrie de conserves françaises

Au début du siècle, alors que la Grande Pointe — aujourd’hui Île-de-Chênes — était encore dans les limites de Saint-Norbert, on tenta d’y introduire une industrie de conserves qui fut l’œuvre exclusive de Français émigrés. La Manitoba Canning Company, société anonyme, fut fondée en France en 1903, avec des capitaux français. Ses actionnaires se recrutaient principalement à Paris et dans les départements du Sud-Ouest.

Ses deux promoteurs, Charles Dufour et Georges Hamel, venus comme colons à Fannystelle, avaient été ensuite à l’emploi de La Borderie. Sans avoir mis un sou dans l’affaire, ils s’étaient vu attribuer un nombre important d’actions, en retour de l’apport qu’était censée représenter leur compétence dans la direction de l’entreprise. En réalité, si Hamel était un homme capable, Dufour, sans profession définie, n’avait d’autre mérite que d’être Périgourdin, ainsi que sa femme, ce qui l’avait sans doute orienté vers les conserves de choix. Comme il voyait très grand, il n’avait pas hésité à affubler du nom pompeux de « Notre-Dame-de-France » le modeste établissement perdu en pleine campagne, loin de toutes communications.

Les premiers ouvriers et employés furent de jeunes actionnaires ou fils d’actionnaires, des fils de familles bourgeoises dénués de toute expérience. Seul l’un d’entre eux, qui avait préparé l’entrée à l’École navale, possédait des notions assez solides en mécanique. Leurs noms étaient : Georges Arnandas, fils d’un gros épicier d’Angoulême ; Paul Bouyssonie, frère d’un géologue connu ; René Caillard, fils d’un avoué de Beauvais ; René Chevassu, fils d’un intendant militaire de Poitiers ; René Caillaud, orphelin, de Poitiers ; Maurice Courtemanche, fils d’un officier de gendarmerie du Mans ; Louis Sévenet, fils du fondé de pouvoir, Me Sévenet, avoué à Angoulême.

Deux de ces jeunes gens, qui étaient les fils de gros actionnaires, occupèrent des postes de faveur, véritables sinécures, à Winnipeg. Deux autres, voyant qu’il leur fallait mettre pour de bon la main à la pâte, s’empressèrent de retourner en France. Le chef de fabrication était un Tourangeau du nom de Vivet, charcutier de son métier, mais qui n’avait jamais fait de conserves. Le chef cuisinier, un Toulousain nommé Sacissou, ne connaissait pas, non plus, la confection des conserves.

Les premiers résultats furent peu brillants. Il n’y avait pas de demande pour la conserve française, absolument différente de la conserve américaine ou canadienne, et totalement inconnue des gourmets de Winnipeg. Les tripes à la mode de Caen, le cassoulet, le civet de lièvre, la galantine truffée, etc., ne tentaient personne. Puis, trop souvent, la marchandise était retournée parce que non satisfaisante ou avariée. À la longue, ces maladresses furent réparées et les produits devinrent excellents. Mais une des erreurs initiales était presque sans remède, celle d’avoir installé l’entreprise si loin de Winnipeg.

Il fallut plusieurs fois faire des appels de fonds aux actionnaires pour payer les agrandissements successifs. Les usines finirent par avoir un outillage très moderne, aussi bien qu’un personnel entraîné et compétent, parmi lequel se trouvait une forte équipe de Chinois. Juste au moment où, semble-t-il, l’expérience chèrement acquise avait permis de mettre sur pied une affaire ayant de belles chances de prospérité, les bailleurs de fonds se rebiffèrent devant la demande de nouveaux capitaux. Ce fut la faillite de la Manitoba Canning Company, après une existence cahoteuse de quatre à cinq ans.

Parmi les jeunes Français attachés à cette entreprise et qui y perdirent la plus grosse part de leur avoir engagé, deux ont laissé des traces au pays. René Chevassu fit une carrière de journaliste à Montréal, puis de traducteur officiel à Ottawa et fut secrétaire du sénateur Raoul Dandurand. René Caillaud, devenu fonctionnaire des Postes dans la métropole, fonda le Courrier de la Poste, qui se mua plus tard en Tribune postale, organe officiel bilingue des postiers du Canada. Il fut aussi le père d’une Chorale des Postiers qui existe toujours.

En marge de ses devoirs professionnels, ce Poitevin, demeuré très attaché à sa province natale, se livra à des recherches historiques d’un intérêt particulier. Dans un petit livre paru en 1945, Normandie, Poitou et Canada français, il a fait ressortir les origines essen-