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Chapitre XIII


Le groupe des Français de Saint-Boniface et de Winnipeg — Acteurs et musiciens — René Brun, acteur, musicien et journaliste — Paul Salé, organiste de la cathédrale et professeur — Le beau temps des fanfares et des orchestres de cinéma — Quatre hebdomadaires successifs rédigés par des Français — Vie et mort du Cheval — Une apprentie raconte ses souvenirs — « Le Soleil de l’Ouest » naît des cendres du « Nouvelliste » — Un rédacteur du « Figaro » qui fit ses débuts à Winnipeg — « La Libre Parole » et A.-H. de Trémaudan — La poésie à Saint-Boniface — Carrière brillante du Cercle Molière


Le groupe des Français de Saint-Boniface et de Winnipeg

Avec les premières années du siècle, qui ouvrent la période de l’immigration massive, le groupe des Français de Saint-Boniface et de Winnipeg commence à émerger. Il a bientôt sa société, « La Gauloise », qui se montre très active, organise des banquets du 14 juillet, des soirées dramatiques et musicales, des excursions et pique-niques. Son premier président est M. Magon de la Giclais, l’ancien colon et négociant de Fannystelle ; son premier secrétaire, Maurice Malfilâtre.

Les artistes amateurs de La Gauloise prêtent volontiers leur concours à l’Union Sainte-Cécile, société paroissiale que dirige le sympathique Roger Goulet, inspecteur d’école. L’Union Nationale Française de l’Ouest deviendra plus tard l’organe officiel de la colonie, assumant le rôle qui avait été celui de La Gauloise. Il y eut aussi la Société Jeanne d’Arc, groupant ceux qui préféraient une organisation à teinte catholique.

Les talents artistiques se révèlent nombreux dans cette classe d’émigrés. Quelques maîtres se sont déjà fait un nom : Paul Salé, professeur de piano, organiste à la cathédrale de Saint-Boniface et directeur de la Fanfare La Vérendrye ; le vicomte de la Roche Aymon, professeur d’orgue et de piano ; le Parisien René Brun, officier d’Académie, professeur de chant et de piano au Collège de Saint-Boniface. Mais des amateurs surgissent. Entre autres, les acteurs Paul Molurier, Arthur Boutal, Joseph Le Gouarguer surtout, l’idole du public. Mécanicien ajusteur venu de l’île d’Oléron, c’est un chanteur agréable et original, doublé d’un excellent comique. Sa toute petite taille fait contraste avec la stature imposante d’Arthur Boutal. Ils forment un trio célèbre avec Maurice Deny et font leur tour de chant avec accompagnement d’ocarina. Les Deny, père et fils, originaires des environs de Saint-Malo, sont tous deux passionnés pour le théâtre. En leur qualité d’électriciens, ils se réservent l’installation des effets lumineux de la scène. Louis Langlamet, artiste peintre très doué, médaillé d’honneur des Arts décoratifs de Paris, et son frère ainé, qui brossait avec Molurier les décors de l’Union Sainte-Cécile, venaient de Saint-Brieuc. Ils ne purent, malheureusement, s’acclimater au pays.


Acteurs et musiciens

Le Club dramatique français de Winnipeg, dont l’animateur fut René Brun, apparut en 1910. Il se proposait de donner au moins deux représentations par an, au Théâtre de Winnipeg, des meilleures comédies du répertoire moderne. Pour ses débuts, il choisit la « Petite Chocolatière », de Paul Gavault. C’était la première fois que des artistes locaux jouaient une pièce française sur une grande scène de la capitale manitobaine. La célèbre tragédienne Sarah Bernhardt s’y était fait applaudir peu de temps auparavant et la comparaison pouvait être désastreuse. Le succès dépassa tous les espoirs.

Pauline Le Goff y tint son premier rôle. Les répétitions avaient lieu chez Fortunat Mollot, père de Gabrielle. Le coiffeur Jean Cazenave incarna un superbe M. Lapistole, père de la Petite Chocolatière. Lily Mollot, qui jouait le grand rôle, était très douée pour la scène et très intelligente. Elle est devenue la femme d’un Canadien français et habite maintenant Timmins (Ontario). Sa sœur, Thérèse, à qui échut le deuxième rôle de femme, épousa un acteur de la troupe permanente du Winnipeg Theatre et prit avec son mari le chemin d’Hollywood. Leur fille, Yolande Dolan, que l’on voit parfois dans les films d’Arthur Rank, habite l’Angleterre.

Un autre acteur, Henri Deschamps, était un personnage autour duquel planait un certain mystère. Il recevait de l’argent de France par l’entremise d’un bureau d’affaires de Winnipeg. On l’appelait « Doc », car il avait un remède à tous les maux. Un beau jour, il conçut l’idée de faire l’essai d’un envol en avion du toit des grands magasins Eaton, avec la collaboration financière d’un fils du richissime négociant ; mais on leur coupa les vivres… et les ailes.

Jean Crèvecœur, qui jouait aussi dans Petite Chocolatière, venait de Calais, où sa