Page:Frémont - Les Français dans l'Ouest canadien, 1959.djvu/69

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

famille possédait une manufacture de dentelles. Joli garçon, ayant autrefois fréquenté les cafés-concerts et leurs vedettes, il continuait de mener joyeuse vie à Winnipeg, même s’il fut réduit quelque temps à faire le chauffeur de taxi.


René Brun, acteur, musicien et journaliste

René Brun, l’âme de ce mouvement dramatique, Parisien très intelligent, bon musicien, écrivain de qualité, mais de nature foncièrement bohème, était passionné de théâtre. Élevé dans l’aisance, il demeurait le type parfait de l’indépendant, qui plaçait au-dessus de tout sa liberté. Sa femme, couturière parisienne, devait se faire une belle clientèle à Winnipeg. Le professeur de piano et de chant exerça divers autres métiers. Il eut quelque temps une librairie qu’il avait achetée de Paul Gillet, fils d’un banquier de Paris. Les affaires y furent plutôt difficiles. Lorsqu’un créancier faisait une apparition inopportune dans la boutique, le propriétaire disparaissait subrepticement dans la cave, par une trappe qui s’ouvrait derrière un comptoir, pour en ressortir comme un diable de sa boîte, une fois le danger passé. Le commerce de librairie se réduisit bientôt à une simple agence de cartes postales illustrées, alors très en vogue. Brun fut aussi photographe pour les quotidiens anglais de Winnipeg. Mais nous allons surtout le retrouver tout à l’heure dans le rôle de journaliste, pour lequel il était particulièrement doué.

Le premier « festival français » fut suivi d’un autre au bénéfice de l’école française libre de Winnipeg. On monta cette fois Arsène Lupin, de Marcel Leblanc, et le succès égala celui de la Petite Chocolatière.

Au nombre des acteurs se trouvait Auguste de la Barrière — celui qu’on appelait le « Baron », pour le distinguer de son cousin, Philippe. Dans le privé, il était électricien et bohème. Il commençait habituellement sa journée vers 2 h. de l’après-midi. Son patron, Marcel Grymonpré, devait souvent aller lui-même le sortir du lit. À l’issue de la représentation, il y eut un petit réveillon pour la troupe au « Venise », restaurant chic de l’époque. Puis, tout le monde rentra à Saint-Boniface, en groupe gai et loquace. Le « Baron » portait en bandoulière un fusil de chasse qu’il avait prêté à Brun comme accessoire pour la pièce. À une fenêtre de la rue Aulneau, il aperçoit tout à coup une tête de femme que le bavardage des noctambules avait dû éveiller. Il épaule aussitôt en disant : « Té !… c’est un cul-blanc, passe-moi la douille !… » Enfant de la Gascogne, Auguste de la Barrière en avait l’esprit et l’accent. On l’aurait vu facilement en d’Artagnan, moins la vantardise. Ce bon et brave « Baron » est tombé, comme tant d’autres, sur le champ de bataille. À son départ, il était secrétaire de l’Union Nationale Française.

René Brun n’était pas seulement un bon directeur de théâtre ; il avait aussi l’étoffe d’un auteur dramatique. Une de ses pièces fut mise à l’étude, mais les répétitions durent être interrompues, faute de pouvoir réunir des interprètes jugés satisfaisants. Celui que l’on doit considérer comme le grand pionnier du théâtre français dans l’Ouest canadien mourut peu avant la guerre de 1914, des suites d’une intervention chirurgicale. Il n’avait que 35 ans. Une période d’une dizaine d’années allait s’écouler avant que l’œuvre pût être reprise.

À signaler cependant le geste audacieux d’un autre Français du nom de Blais qui, en novembre 1918, fit jouer à Winnipeg Le Cid, de Corneille. Juliette Guilbert, une jeune Canadienne française qui se distingua dans le rôle de Chimène, devait épouser le Lyonnais Jean Bernuy, chef de gare à Sainte-Rose-du-Lac. Blais mourut peu de temps après dans la région de Haywood.


Paul Salé, organiste de la cathédrale et professeur

Si l’on se penche maintenant sur les musiciens, il faut remonter jusqu’à Paul Salé, qui vint au Manitoba dès 1886. Né à Douai (Nord) en 1863, il eut la vue faible, petit enfant, et connut la cécité totale vers sa dixième année. Entré tardivement dans une institution de jeunes aveugles, il n’en fit pas moins un cours de musique très avancé. La vue lui revint partiellement et il put alors voyager seul

Paul Salé n’avait que 23 ans lors de son arrivée à Saint-Boniface. Il fut le premier directeur de la Fanfare Indépendante, à laquelle succéda la Fanfare de Saint-Boniface. La musique alors ne faisait pas vivre son homme au pays. Il partit bravement pour le Nord, afin de se livrer à la traite des fourrures, mais ce fut une expérience malheureuse. De retour à Saint-Boniface, il devint organiste à la cathédrale et, en dépit de sa vue déficiente, se montra très actif comme professeur dans tous les domaines de la musique et du chant. Principal fondateur de la Fanfare La Vérendrye, il en garda la direction jusqu’en 1921. Paul Salé composa plusieurs marches et valses pour piano qu’il tenta vainement de faire éditer. Devenu complètement aveugle, il dut finalement abandonner son poste d’organiste, mais n’en garda pas moins jusqu’à la fin tout son enthousiasme pour la musique. Ce pionnier français décéda en 1949, à l’âge de 86 ans. Pendant un demi-siècle, il avait donné généreusement de sa personne et de sa richesse musicale à la population de sa terre adoptive.

Les autres musiciens venus de France furent presque tous des amateurs. M. Joseph Vermander, Flamand canadien de culture française, très documenté sur tout ce qui touche au passé musical de Saint-Boniface, nous dit :


Le beau temps des fanfares et des orchestres de cinéma

« À la Fanfare La Lyre, de 1904 à 1907, ils formaient un groupe important au début et l’atmosphère était bien française. L’attrait des pays nouveaux, d’un climat plus doux et des salaires plus élevés en éloigna vite plusieurs. Mais quels échanges fructueux d’idées et d’ex-