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tous les jours, à l’heure du déjeuner, Arthur Boutal et Fernand Loiseau, d’Angoulême, Louis Bochard, de Roanne, Auguste Coucheron, du Havre, et plusieurs autres. Le plus assidu était un nègre français, Paul Avril, dont la boutique de coiffeur se trouvait dans l’immeuble du Grain Exchange. Il avait l’air extrêmement distingué et parlait un langage admirable. La fille aînée, Valentine, aidée de sa mère, dirigeait l’entreprise avec beaucoup de doigté et de savoir-faire. D’un physique agréable et très accueillante, elle comptait de nombreux soupirants entre lesquels elle évoluait avec une adresse consommée. La clientèle était surtout ouvrière. Au pied de la rue Lombard, près de la rivière Rouge, il y avait l’usine Kemp, où l’on manufacturait boîtes de conserve, arrosoirs et autres ustensiles en fer-blanc. On y employait un bon nombre de Français, clients habituels de Valentine, qu’y avait fait entrer Félix Achet. Lors de la construction du pont du C.N.R., les hommes qui y travaillaient se joignirent à eux. Beaucoup de gars de Montréal, assez bruyants. Les soirs de paie, le piano mécanique faisait recette.

Un fils Mesnage, Alexandre, cultivait une ferme à Woodridge, avec la plus jeune sœur, Rosalie. Il est tombé sur le champ de bataille en France. Un autre, qui était prêtre, est mort prématurément dans la même paroisse manitobaine. Valentine et Rosalie, après un stage au pays natal entre les deux guerres, se sont mariées et habitent la Californie. Le restaurant de la rue Lombard a fait place à un garage moderne. Félix Achet, venu de Paris, et sa femme, des environs de Vannes, demeurent toujours à Saint-Boniface. Leur fils unique, Maurice, est comptable à la Cusson Lumber Co.

Tout à côté du restaurant Mesnage, à l’Hôtel du Canada géré par « Ben » Besnard, fréquentait une clientèle un peu différente. Il s’y tenait régulièrement de petits dîners fins dont les habitués disaient merveille. C’était l’un des jeunes actionnaires du fameux établissement de conserves de l’Isle-de-Chênes qui invitait un groupe fermé à déguster ses échantillons pour fins publicitaires. Dans ce cercle de gourmets, les produits de choix Dufour et Hamel étaient mieux appréciés que chez les acheteurs anglo-saxons, plutôt récalcitrants.

Un autre Français, Chalas, qui avait débuté, lui aussi, par une maison de pension à Saint-Boniface, acheta un restaurant — pas de premier ordre — près de l’Hôtel de Ville de Winnipeg. Il avait confectionné une enseigne « électrique » avec de la toile tendue sur deux cadres entre lesquels brûlait… une lampe à pétrole. Un beau soir, toute l’installation se mit à flamber. Grande émotion à l’intérieur, vite muée en joyeux éclats de rire des clients. Chalas en fut quitte pour une amende et un peu de débris ici et là.

J.-H. Gauthier, ancien chef cuisinier du « Kensington », tint pendant un quart de siècle, au cœur de Winnipeg, un restaurant qui fut le rendez-vous des Français des deux villes et de la province. Aujourd’hui, il possède un hôtel dans la paisible bourgade de La Broquerie.


Autres Français de Winnipeg

Deux ébénistes de Nantes, Civel et Rétaut, arrivèrent à Winnipeg au début du siècle. En 1912, ils avaient leur atelier à l’endroit où se trouve aujourd’hui le Théâtre Capitol, sur la rue Donald. Tous deux étaient de fins travailleurs. Après 1918, Civel se dirigea vers la Californie. Rétaut, qui avait fait la guerre, alla l’y rejoindre peu après son retour à Winnipeg. Ils passèrent de la fabrication des meubles à la culture des fruits.

Pierre Simonot, confiseur parisien, associé de Bond et Ronald, a eu pendant des années son propre magasin. Il a mis à la mode les chocolats à l’eau-de-vie et aux liqueurs. Mais les pralines, marrons glacés, dragées et autres douceurs du même genre ont eu beaucoup moins de succès. « Que voulez-vous, disait-il, les gens d’ici ont été élevés au marsh-mallow… »

Les Germain père et fils, des Vendéens, après un essai de culture en Saskatchewan, furent les premiers à faire et à distribuer du vrai pain français dans la capitale manitobaine. Octave, l’un des acteurs d’« Arsène Lupin », épousa Mlle Billard, morte jeune à Saint-Boniface. Auguste est décédé en 1953.

Mme Barrelié de Combrai, venue de Mâcon et établie à Winnipeg depuis 1904, y a fait le plus grand honneur à la haute couture française. Elle a été secondée par Mme Glénat, de Lyon.

Jules-Jérémie Collon, président de la Commission scolaire du Sacré-Cœur de Winnipeg, décédé en 1923, a laissé le souvenir d’un homme très honorable et de haute distinction. Né au Mexique de parents français, il alla étudier à la Nouvelle-Orléans et en France. En sa qualité d’exportateur, il fit de nombreux voyages à l’intérieur du Mexique et quinze fois la traversée entre New-York et le Havre. Retiré des affaires, il vécut près de trente ans à Paris avant d’émigrer avec sa famille à Winnipeg. Mme Collon, cultivée et spirituelle, survécut très longtemps à son mari et mourut presque centenaire. Leur fils Jules épousa une nièce du musicien Léo Delibes. Leur fille s’allia à René Chauvière, qui fut le premier secrétaire de l’Alliance française du Manitoba. La fille aînée des Chauvière est devenue la femme du Dr Etsell et a été mêlée activement, avec sa mère, à toutes les organisations françaises. L’autre, Liliane, épousa en première noces Pierre de Saint-Denis de Saint-Évremond, mort prématurément.

Les familles Georges Fourès et Alexis Jacquet sont aussi parmi les plus anciennes de langue française établies dans la capitale manitobaine. Paul Sala, de la Sarthe, était dans le commerce des vins et liqueurs, avant l’époque lointaine de la prohibition. François de Siéyès est toujours dans le négoce du charbon. Les