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les fièvres le ramenèrent en France. Le Canada était à l’ordre du jour : il se rendit en Saskatchewan, où il passa un an à travailler sur la ferme et dans le bois. Revenu à Montréal, attiré par les rapports de camarades trop optimistes, il n’a pas à s’en féliciter, jusqu’au moment où quelqu’un découvre que ce Français possède un baccalauréat ès lettres de la Faculté de Rennes. La métropole manque justement d’instituteurs. Il obtient son brevet, enseigne comme adjoint, puis comme directeur d’école et épouse une Canadienne française. La guerre vient interrompre sa carrière. Réformé en 1917, il choisit de retourner dans l’Ouest ; mais l’enseignement lui demeure fermé, faute d’une connaissance suffisante de l’anglais. Il finira par décrocher une position modeste, mais permanente, dans l’élevage des poulets à la Trappe de Saint-Norbert. L’ex-sergent du 1er Zouaves Moreau, aujourd’hui octogénaire, travaillerait encore — il a gardé toute sa vigueur — si on ne lui avait imposé la retraite il y a une dizaine d’années. L’un de ses fils, qui a fait la dernière guerre comme aviateur, est chirurgien-dentiste à Victoria ; l’ainé est contremaître dans une grosse entreprise de construction à Winnipeg.


La part des Angoumois

Il convient de souligner la part détenue par Angoulême dans les émigrants français dont bénéficia Saint-Boniface. Nous en avons déjà mentionné plusieurs. Auguste et Adrien Guay, venus avec leurs parents en 1904, étaient aussi de cette région. Ils épousèrent deux Canadiennes françaises. L’aîné, Auguste, après avoir été bedeau à la cathédrale, alla se fixer à Montréal. Adrien prit sa place et mourut relativement jeune, laissant une famille assez nombreuse. Plusieurs se souviennent du petit restaurant que tint sa veuve vis-à-vis de l’hôpital, dans le local naguère occupé par la librairie Fides.

Le Parisien Gabriel Beaudoin avait épousé Georgette Trémit, d’Angoulême. Son frère Georges et elle, avec le Dr Autenac, de la même ville, avaient séjourné quelque temps à Red Deer (Alberta), avant de venir se fixer à Saint-Boniface. Charles Levêque, de Nantes, et René Ordronneau étaient des beaux-frères de Gabriel Beaudoin. Les parents Beaudoin vinrent visiter leurs enfants un peu avant la guerre de 1914. Leur plus jeune fille, Jeanne, qui les accompagnait, se maria avec R.-J. Bergevin, frère d’Hector. Ils vivent actuellement en Californie.

Un autre Angoumois, Maurice Dumousseau, imprimeur, aujourd’hui disparu. Chef d’atelier à la West-Canada, où le personnel était en majorité allemand, aux premiers jours de la guerre il eut une violente discussion avec l’un de ses hommes. Au moment où ils allaient en venir aux mains, le Charentais saisit nerveusement son antagoniste à bras-le-corps et alla le déposer sur le trottoir. Pas un compatriote de l’expulsé n’osa intervenir. Ce fut la fin de l’incident. Peu après, Dumousseau partait pour le vrai champ de bataille, où cinq frères l’avaient précédé.


Et d’autres venus d’un peu partout

Trois frères Ordronneau, originaires de Bain-de-Bretagne (Ille-et-Vilaine), sont venus dans l’Ouest. Émile, arrivé en 1903, se fixa en Saskatchewan et mourut accidentellement sur son homestead, au Lac-Pelletier. René demeura à Saint-Boniface de 1906 à 1923, date de son départ pour la Californie. Plâtrier spécialisé dans le finissage, on lui doit, entre autres travaux, toutes les décorations à la cathédrale de Saint-Boniface, ainsi qu’au bureau de poste et au Palais législatif de Winnipeg. Il mourut à Los Angeles en 1942, laissant, outre sa femme, trois fils bien établis et plusieurs petits-enfants. Mme René Ordronneau, née Marie-Pauline Beaudoin, est toujours très active à 80 ans passés. Le dernier des trois frères, Alexis, resta en France après la première Grande Guerre.

Pierre Fontaine, entrepreneur électricien, se range parmi les anciens, puisqu’on le trouve, dès avant 1914, associé avec Marcel Grymonpré. On ne s’en douterait guère, à son air dégagé et à son pas demeuré typiquement militaire.

François Simon, de Saint-Pol-de-Léon (Finistère), travailla pendant des années pour la ville comme contremaître et plus tard comme concierge à l’Hôtel de ville. Il avait épousé Pauline Mercier, de Plouzévédé (Finistère). Leurs six filles, toutes mariées, ont eu de nombreux enfants.

Parmi les anciens qui ont séjourné un demi-siècle ou plus au Manitoba, il ne faudrait pas oublier Émile-Auguste Heyser, de Blois. Venu avec son ancien précepteur, l’abbé Auguste Janichewski, il ne crut pas devoir suivre le fondateur de Toutes-Aides quand celui-ci décida de rentrer en France. Depuis 1908, sauf pendant neuf ans passés à Saint-Laurent comme administrateur municipal, M. Heyser a constamment vécu, avec sa famille, à Winnipeg ou à Saint-Boniface.

Pierre Gerbault et sa femme, de Saint-Étienne, sont morts à Saint-Boniface, après y avoir vécu quarante ans. Séverin Frainaud, un vétéran de 1870, n’ayant pu s’acclimater, retourna en France avec sa femme et son fils.

Arsène Soullier, de la Haute-Loire, appartient aussi à la grande période des premières années du siècle, mais sa fille Blanche nous rappelle les heures tragiques de la deuxième Grande Guerre. Les terribles bombardements de Londres n’ébranlèrent pas la calme sérénité de cette brave infirmière de la Croix-Rouge. Mariée en terre allemande et devenue veuve aussitôt, dans la dernière phase des hostilités, elle poursuit son rôle de garde-malade aux États-Unis.

Maurice Gydé, de Roubaix (Nord), après sept années consécutives dans les chasseurs à cheval (service militaire et guerre de 14), avait peut-être cru que ce serait un jeu pour lui de se livrer au transport du poisson dans la région