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de Camperville ; mais il renonça bientôt à ce dur métier pour revenir à l’industrie de la chaussure à Saint-Boniface. Son fils, le Dr Maurice Gydé, pratique avec succès la médecine à Saint-Pierre.

Inscrivons encore deux autres Lyonnais, Adolphe et Marius Maire ; les deux beaux-frères Francis Thomas et Le Nabat, originaires de Lorient ; Neyron de Méons, des environs de Saint-Étienne ; J.-B. Cazac, de Nantes ; Paul Pothier, d’Amplepuis (Rhône), et Victor Masson, du Morbihan.

Les trois frères Raymond, Christian et Éric Martel, des Parisiens, étaient membres de la Société Jeanne d’Arc. Raymond, dessinateur, travaillait pour l’architecte Sénécal. Il fut tué au front en 1915. Ses deux frères étaient partis avec lui. Leur ami Alfred Commune, employé de banque, eut le même sort que Raymond Martel. La famille Commune venait de Saint-Gilles, près d’Arles (Bouches-du Rhône). Lorsque le Cercle Molière monta l’Artésienne, c’est Pierre Commune, le père, qui enseigna aux acteurs et actrices à danser la farandole. Il finit ses jours à Prince-Albert, chez sa fille, Mme Norbert Jutras. Sa femme mourut plus tôt à Saint-Boniface.


Le premier constructeur d’un avion dans l’Ouest

Eugène, Alfred et Albert Contant, venus avec leurs parents en 1906, tenaient un garage à Norwood, banlieue de Saint-Boniface. Les deux premiers firent la guerre. Eugène y mourut de la grippe espagnole ; Alfred servit dans l’aviation. Le plus jeune, Albert, avait obtenu en France son brevet de pilote-aviateur de la Fédération aéronautique internationale. Ce très habile mécanicien construisit le premier avion peut-être du Canada, et certainement de l’Ouest. Albert Contant exécuta au moins deux envolées sur le vaste terrain de la ferme Youville, alors assez éloignée de la ville, où il avait construit un hangar. Une des roues du train d’atterrissage se serait accrochée à un poteau de clôture, ce qui fit culbuter l’avion et l’endommagea passablement. L’aviateur fut blessé dans cet accident, ce qui aurait été, paraît-il, l’une des causes de sa fin prématurée. Contant utilisa d’abord un moteur de sa propre fabrication, avant de s’en procurer un autre plus rapide, de marque américaine. Le premier a trouvé place au musée de la Faculté du Génie, à l’Université du Manitoba.

Albert Contant décéda à Saint-Boniface, en mars 1918, quatre mois après son frère aîné. Le seul survivant, Alfred, prit avec ses parents la route de Montréal.

Parmi les nombreuses autres victimes de la première guerre n’oublions pas Louis de Longevialle, de l’Isère, que revendique aussi High-View (Dumas). Il appartenait à une famille de dix frères, dont cinq furent tués au front. Cinq Démians — autres Lyonnais — furent aussi en même temps sous les drapeaux. Sur les deux qui se trouvaient dans l’Ouest, Xavier, de Saint-Boniface, se remit de ses blessures, mais Denis, de High-View, succomba aux siennes.

Et parmi ceux qui revinrent sains et saufs dans leurs foyers, rappelons ce Jacques des Moutis, maréchal des logis. Père de six enfants vivants demeurés à Saint-Boniface avec leur mère, il avait droit à être versé dans les services de l’arrière, mais insista pour combattre sur le front, avec deux frères officiers.


N’oublions pas les Belges

Comme sa grande sœur Winnipeg, la ville de Saint-Boniface, sans abandonner sa physionomie originale, prend de plus en plus un certain air cosmopolite. Mais dans la large famille qui embrasse Canadiens et Français d’outremer de tous pays — y compris la Belgique, la Suisse, les îles anglo-normandes, les îles Saint-Pierre-et-Miquelon — le langage et le mode de vie ne trahissent guère que des nuances faiblement perceptibles.

Le lecteur qui a vu défiler une longue liste de morts et de vivants, anciens ou actuels habitants de Saint-Boniface, tous issus du vieux continent, ne doit pas perdre de vue le rôle et l’importance des autres groupes affiliés. Il serait injuste de ne pas souligner la belle place occupée par les Belges, qui doivent leur succès à des qualités bien connues de travail et de méthode. Wallons et Flamands gardent un admirable esprit de corps : ils ont leur quartier, leur église, leur club, leur fanfare, leur monument aux morts de la guerre. Mais ils ne vivent pas pour cela isolés de la masse de leurs concitoyens d’autres origines. La preuve, c’est que depuis plusieurs années, Saint-Boniface a pour maire M. J.-G. Belleghem, un fils de Belge, né et ayant reçu son éducation dans la ville qu’il administre à la satisfaction de tous.


Un coup grave porté à la colonie

C’est pendant la première Grande Guerre que, sur l’initiative des professeurs W.-F. Osborne et Charles Muller, fut créée l’Alliance française de Winnipeg. A.-H. de Trémaudan fonda aussi le club « Le Manitoba », auquel il sut donner une vigoureuse impulsion, au moyen de causeries et de réunions patriotiques.

La fin du terrible conflit permit de mesurer à quel point il avait brisé en plein essor le magnifique élan de la colonie française de Saint-Boniface et de Winnipeg. Dans la longue liste de noms qui précède — et elle est incomplète — que de jeunes gens et d’hommes fauchés dans la force de l’âge ! Avec les morts et les grands blessés, ne sont pas revenus ceux qui n’avaient pas encore réussi à s’adapter et que ne rattachait au pays aucun lien de famille. La principale colonie française du Manitoba a perdu le gros de ses éléments de jeunesse, d’enthousiasme et de fantaisie à quoi elle devait une bonne part de sa note pittoresque. Et l’époque active de l’immigration est virtuellement terminée : les vides creusés par cette affreuse guerre ne seront jamais comblés. Saint-Boni-