Page:Frémont - Les Français dans l'Ouest canadien, 1959.djvu/98

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Society, afin de poursuivre l’exploitation. À part le seul commanditaire initial de 1886, le châtelain de Maure, tous les actionnaires appartenaient à la haute noblesse. En tête de la liste figuraient le baron de Salvaing de Boissieu, le comte Yves de Roffignac avec ses deux frères, Henri et Martial. Le jeune maître de Bellevue manœuvra alors tant et si bien qu’il finit par décrocher la gérance provisoire de la Rolanderie au nom de la nouvelle compagnie.


Fondation de Saint-Hubert

C’est au printemps suivant que se place un événement bien propre à affermir les espoirs dans l’avenir de la jeune colonie. L’abbé Léon Muller, prêtre parisien, précepteur du jeune comte Charles de la Forrest Divonne, que nous avons vu aux prises avec le chanoine Rosenberg à Fannystelle, a reçu mission de l’archevêque de Saint-Boniface d’aller fonder une paroisse à la Rolanderie, sous le vocable de saint Hubert. Cet ecclésiastique va mener les affaires rondement. Il est vrai que les plans d’une église ont été préparés et des accessoires décoratifs déjà exécutés à Paris. Venu de France au Manitoba en février, l’abbé Muller fait en mars un voyage éclair à Montréal. Le 5 avril, il arrive en coup de vent à Whitewood. Au saut du train, il se rend à neuf milles au sud-est et donne des ordres pour la construction de la chapelle. Trois semaines plus tard, il est revenu au Manitoba et prêche dans l’église de Sainte-Anne-des-Chênes. Retour à la Rolanderie et dernier coup d’œil aux travaux qui doivent être terminés en juin. Au début du mois d’août, on le retrouve à Paris, s’occupant de recruter des colons pour sa lointaine paroisse de l’Ouest canadien.

L’abbé Muller porte le titre officiel de curé fondateur de Saint-Hubert, mais il fit les choses à pleine vapeur et n’y remit jamais les pieds. Rendons néanmoins justice à son bon goût en architecture religieuse, pour la part qui lui revient dans l’érection de cette première église. L’endroit choisi, très pittoresque, était au nord de la rivière, à proximité de collines boisées. La direction de la Rolanderie et les autres gentilshommes n’ont pas fait les choses à demi. Dans un pays où l’on ne connaît que des constructions en bois, celle-ci présentera le luxe incroyable d’être en pierres des champs qui seront assemblées par des maçons français. L’unique porte, en chêne sculpté, offre un riche effet artistique, aussi bien que les huit verrières dont l’auteur a pris comme modèles des personnages le fils et la fille de l’un des nobles donateurs. À l’intérieur, on pend une belle toile figurant la scène de l’Annonciation, œuvre du comte de la Forrest Divonne.

Cette fondation de paroisse est vraiment unique en son genre, si l’on songe que le petit groupe rural se compose exclusivement de catholiques de langue française venus de France et de Belgique, que les fonds destinés à l’érection de l’église ont été fournis par des aristocrates demeurés fidèles aux traditions de la vieille France et que le curé fondateur est un prêtre du diocèse de Paris. On peut y voir cependant une sœur cadette de Fannystelle. Le nom de Saint-Hubert va alors faire passer au second rang celui de la Rolanderie, qui ne désignera plus que le centre initial de culture et d’élevage. Les autorités postales le feront modifier plus tard en Saint-Hubert-Mission afin de le distinguer du Saint-Hubert des environs de Montréal.


Yves de Roffignac redore son blason

Yves de Roffignac se rendit en France pour un contact personnel avec les membres de la nouvelle société. Pendant l’absence du directeur provisoire, l’administration de la Rolanderie fut par lui confiée à Guillaume de Roty, de Bayeux (Calvados), un nouveau venu de 23 ans, dénué de toute compétence, qu’il accusera plus tard, fort injustement, d’avoir ruiné l’entreprise en quelques mois. Plusieurs expériences malheureuses avaient fortement écorné la fortune du comte ; mais, juste à point, il allait redorer son blason par un riche mariage avec Germaine de Salvaing de Boissieu. Son heure était enfin venue. Meyer l’avait toujours tenu a l’écart de ses propres affaires, estimant qu’il manquait de sérieux et de sens pratique. Maintenant, aucun obstacle ne pouvait plus lui barrer la route. Fort du titre usurpé de co-fondateur et d’une présumée expérience difficile à apprécier de Paris, il n’eut pas de peine à se faire confirmer dans son poste de directeur à la Rolanderie. La comtesse suivit son époux au Canada et tous deux, à leur arrivée, s’installèrent dans l’ancienne maison des Meyer. Voyage de noces idéal, digne d’un conte de fées, et qui dut faire rêver d’envie plus d’une compagne de Germaine de Boissieu.

Quelques mois plus tôt, le romancier à la mode Léon de Tinseau, qui avait passé quatre ou cinq jours à la Rolanderie, notait ainsi ses impressions :

« De l’eau et du bois… Deux trésors inestimables. Le jeune et très accompli gentilhomme français qui dirige l’exploitation de la Rolanderie, déjà beaucoup plus que naissante, l’a bien compris le jour où il est venu s’installer dans cette jolie maisonnette de bois, qui vous prend des airs de château quand on y est reçu par le comte de Roffignac. »

Et l’auteur d’ajouter en note : « Que serait-ce maintenant qu’on y est reçu par la plus aimable, la plus distinguée et la plus vaillante des jeunes Françaises, dont les danseurs des deux rives de la Seine se disputaient encore les « cotillons » à l’heure où j’écrivais ces lignes ? Certes, madame, il faut être doublement courageuse pour promener le flot d’or de votre chevelure à portée du tomahawk indien. Jamais il n’a conquis de trésor pareil. Heureusement qu’il se rouille aujourd’hui sous le gazon touffu de la Prairie. »

Ah ! qu’en termes galants ces choses-là sont mises !…

La Rolanderie et les propriétaires indépendants vont s’orienter de plus en plus vers la