Page:Fraigneau - Rouen Bizarre.djvu/54

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nuits passées sous les ponts, tremblent de froid.

Les femmes portent souvent dans un mouchoir quelques morceaux de pain sortis du bureau de bienfaisance ; les hommes, comme écrasés par une fatalité toujours renaissante, claquent des dents ou soufflent, pour se réchauffer, dans leurs doigts.

Ils sont ainsi cent, cent cinquante, parfois deux cents. Les chauffoirs débordaient, les asiles de nuit étaient combles, les bâches des quais étaient gelées ; le poste de police est devenu le dernier refuge. Le violon municipal s’est transformé en établissement de charité.

À dix heures et demie ou à onze heures, la lourde porte de la prison s’ouvre, et le flot humain s’engouffre dans l’édifice. On entend des soupirs de satisfaction, des rires de brutes produits par la sensation agréable d’une atmosphère tiède sur la peau presque nue.

« — Allons, les vagabonds ! couchez-vous ! » Et les hommes se précipitent dans la cellule no 1 qu’on leur ouvre ; les femmes se jettent dans la cellule no 2. La poussée est violente ; on se dispute une place sur les planches inclinées qui servent de lit de camp. Les faibles, les malades restent sur le pavé. C’est là qu’ils s’étendent, c’est là qu’ils dorment. La communauté de la souffrance éveille chez