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GUIDE DU BON SENS

POLYDOXE. — L’esclavage des sens n’a pas été compris dans l’abolition de l’esclavage.

EUDOXE. — Le bon sens ne demanderait qu’à nous libérer de l’esclavage de nos sens ; mais encore faudrait-il qu’on le lui demandât.

POLYDOXE. — Ce qui satisfait nos sens ne se satisfait pas avec du bon sens. S’il est exact que la luxure, et c’est vous-même qui l’affirmez, détermine un état aigu, une sorte de crise, analogue à la colère dont, toutes choses égales d’ailleurs, vous avez pu discerner les semblables effets, est-ce au moment où l’on perd tout contrôle qu’il faut recommander les bienfaits du raisonnement ?

EUDOXE. — L’homme qui s’abandonne à la colère ne se rend compte qu’après l’accès passé qu’il était en colère ; l’homme qui s’abandonne à la luxure, s’y abandonne sciemment ; même est-il impropre de dire qu’il s’y abandonne, il ne s’y abandonne pas, il s’y précipite ; c’est un fou, oui, mais un fou qui raisonne.

POLYDOXE. — Tous les fous raisonnent et n’en sont pas moins fous.

EUDOXE. — Mais, pour celui-ci, c’est son raisonnement qui le conduit à sa folie, puisqu’il s’ingénie et s’exténue à se persuader qu’il n’est d’autre but que son plaisir ignoble, qu’il y ramène tout et s’y vautre. Les lumières de l’esprit ne lui manquent pas ; il ne les a pas étein-