Page:Francis de Miomandre - Écrit sur de l'eau, 1908.djvu/166

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n’avons pas le choix. Tu es mineur, demain l’usurier saurait si ton père veut ou non payer tes dettes, et comme il ne voudrait point… Tu n’as aucune garantie à présenter, tandis que madame Verrière…

— Eh bien ! mais je n’ai pas de garantie non plus pour madame Verrière…


— Légalement, non ; mais madame Verrière, si elle faisait une avance à un chiffonnier, créerait des hypothèques sur sa hotte… C’est la femme la plus subtile que je connaisse. Tu n’as rien, c’est entendu ; mais, le jour où tombe l’échéance du billet, crois-tu qu’elle va, le laissant protester, traîner dans la ville et galvauder une signature qu’elle a, dans un certain sens, avalisée ? C’est un procédé de grincheux et d’imbécile, et dangereux en outre, parce qu’on ne sait pas jusqu’où peut aller la justice, quand elle s’en mêle… Non, elle attendra. Ton père représente pour elle, par les relations que sans cesse il lui procure, par les intérêts énormes qu’il lui verse sur d’anciens emprunts, par une quantité innombrable de services rendus, des avantages cent lois supérieurs à la perte qu’elle ferait si tu étais insolvable.

Et cette perte même, elle ne la fera point, car toi aussi, en vieillissant, tu seras de plus en plus à même de lui procurer des relations, de lui verser des intérêts et de lui rendre des services. Et c’est par le procédé d’un roulement semblable que madame Verrière, qui végète dans l’appartement que tu vas voir, connaît tout ce que Marseille compte de gens distingués, mais ayant eu momentanément des malheurs. Nous sommes arrivés.

Madame Verrière vivait dans une chambre simple et sobre, ornée de meubles honnêtes, mais où l’on devinait que, préoccupée sans trêve par d’autres soucis, elle ne s’était jamais inquiétée de mettre de l’ordre parmi les