Page:Franck - Dictionnaire des sciences philosophiques, 1875.djvu/169

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mais ont leur fondement dans la réalité des choses. Bref, il appartient à cette famille d’esprits éclairés, qui par prudence se défient de tout ce qui dépasse l’expérience, mais qui sont perpétuellement tentés de sortir des limites où ils se sentent trop à l’étroit. On connaît de Baldi­notti deux ouvrages : 1 ° da Recta humanœ mentis institutione, Pavie, 1787, in-8, sans nom d’au­teur. C’est un livre clair, un peu superficiel, comprenant d’abord une revue sommaire de l’his­toire de la philosophie, puis quatre livres qui traitent de la connaissance considérée dans ses éléments, en elle-même, dans ses instruments et dans ses sources. 2° Tenlaminum metaphysicorum, lib. III, Padoue, 1807, in-8. Le progrès de la pensée est visible d’un ouvrage à l’autre.

E. C.

BALLANCHE (Pierre-Simon), né à Lyon en

  1. mort à Paris en 1847. Après des études qui araissent avoir été assez superficielles, il emrassa d’abord la profession de son père, dont il dirigea l’imprimerie pendant trois ans. Il était dès lors disposé à la rêverie, recherchait la solitude, et prenait des habitudes méditatives. La révolution, et les épreuves qu’elle infligea à sa ville natale, l’obligèrent à fuir à l’étranger avec sa mère ; il ne revint en France qu’après le 9 thermidor, et les événements dont il avait été le témoin et, jusqu’à un certain point, la victime, contribuèrent à développer ses disposi­tions mélancoliques, et à affaiblir une constitu­tion déjà maladive, sans altérer le fonds de bonté et de douceur qui fut toujours la vertu dominante de son caractère. C’était une âme tendre, pas­sionnée pour les choses divines, et portée à chercher les causes secrètes et les raisons in­visibles des événements ; mais son esprit qui n’avait pas l’appui d’une science solide, et où l’imagination avait plus de force que la raison, le rendait plus propre à inventer des concep­tions poétiques qu’à découvrir des vérités phi­losophiques. Il s’essaya d’abord dans un récit épique du siège de Lyon, dont le manuscrit a disparu ; puis il publia en 1801 : du Sentiment considéré dans ses rapports avec la littérature el les beaux-arts, œuvre très-imparfaite qu’il a prudemment retranchée de sa collection. Il eut en arrivant à Paris, à vingt-cinq ans, la bonne fortune de mériter l’amitié de Chateaubriand, et d’être admis parmi les hommes d’élite ; que l’esprit et la beauté de Mme Récamier reunis­saient en une sorte de cénacle, et qui ne cessèrent de le protéger^ et de le vanter peut-être avec un peu d’exageration. Lui-même ne résista pas au charme que tant d’autres ont subi, et ses Fragments d’élégies sont des confidences d’amour pur pour cette femme qu’il appelle sa Béatrice, et qui, dit-il, fut douce à ses souffrances. En 1814 il publia 1 Antigone, sorte de poëme en prose, qu’un biographe trop indulgent compare au Télémaque. Il faut beaucoup de bonne volonté pour découvrir dans ces pages prolixes, et d’un style sans naturel, des idées philosophiques cachées sous d’obscurs symboles. Il n’y en a pas davan­tage dans lEssai sur les institutions sociales (Paris, 1817), dont on peut louer du reste la politique modérée et généreuse. Tout au plus y démêlerait-on l’esquisse d’une théorie du lan­gage, qui prétend concilier les doctrines de de Bonald et celles des idéologues sur cette question alors vivement débattue. Suivant Ballanche, la parole à l’origine était, non pas le signe de l’idée, mais l’idée elle-même formant avec son expres­sion un tout indivisible, l’idée ayant sa forme avec elle-même. Mais peu à peu cette synthèse subit une décomposition ; la pensée se sépare 4es signes qui y sont inhérents, qui dès lors sont comme des formes vides, perdent leur force, et se matérialisent pour s’écrire et s’imprimer. De son côté la pensée tend à s’isoler, à se suffire à elle-même, et il devient possible à l’homme de penser sans parole. On voit que la rigueur et la clarté ne sont pas les qualités saillantes de cette conception. Il n’y a pas non plus grand profit à tirer pour la science de quelques pro­ductions de courte haleine : le Vieillard et le jeune homme, l’Homme sans nom, l’Élégie. La phi­losophie de l’auteur, ou plutôt les inventions mystiques qu’on a decorées de ce nom, sont tout entières réservées à son grand ouvrage, la Palingénésie sociale, qui, suivant M. de Laprade, « est peut-être le monument le plus original, lé plus entièrement à part dans les lettres fran­çaises. » Cette vaste composition devait être une trilogie dont les parties auraient reçu ces titres : Orphée, la Formxde, la Ville des expiations, et auraient dû former ce que l’auteur appelle une « théodicée de l’histoire. » Ses œuvres complètes, publiées en 4 vol. (Paris, 1830) et réimprimées sans additions en 5 vol. (Paris, 1833), ne contien­nent que la première partie et des fragments des deux autres, entre autres un morceau de forme apocalyptique, intitulé la Vision d’Hébal, que ses admirateurs déclarent « étrange et gran­diose. » Les qualités littéraires de ces écrits, réelles sans doute puisqu’elles ont recueilli des suffrages considérables, avaient valu à Ballanche un fauteuil à l’Académie française en 1841. Il mourut en 1847, en laissant une mémoire chère à ses amis, et une renommée qui ne paraît pas destinée à s’accroître. Deux volumes qu’il a laissés manuscrits n’ont pas été publiés. On éprouve un grand embarras quand on a le devoir de faire con­naître les opinions philosophiques de Ballanche : ses amis affirment qu’il a un système « homogène comme sa vie et son style, » une profonde érudi­tion, et un génie métaphysique de premier ordre ; mais ils se dispensent d’en donner des preuves, et ne peuvent s’empêcher d’avouer qu’il y a dans ses ouvrages, d’ailleurs incomplets, du vague et de l’obscurité. Le plus bienveillant d’entre eux l’appelle d’un nom qui semble bien appliqué : « l’illustre théosophe. » En réalité, il y a peu de philosophie dans ces compositions solennelles, et si on en trouve, elle ressemble à celle que Montaigne appelle « de la poésie sophistiquée. » Des formules ambitieuses et de froides allégories dissimulent mal des idées creuses, et une igno­rance complète de l’histoire de la philosophie. La méthode est celle d’un inspiré, c’est-à-dire une sorte de divination, qui procède par oracles et néglige les preuves ; celle dont les sciences font usage est tenue pour pernicieuse, et doit céder la place « à une méthode synthétique et inspirée. » Les meilleures idées ainsi séparees de toutes leurs raisons ne sont plus que des vues plus ou moins ingénieuses, sans aucune valeur scientifique ; il y en a sans doute dans la Palingénésie sociale ; mais elles ne se prêtent pas à l’analyse, et d’ailleurs concernent l’histoire, la po­litique et la religion, plutôt que la métaphysique ou la psychologie. Ces remarques sont faites pour expliquer l’indigence du résumé qui suit.

Pour prendre les choses à l’origine, il faut remonter à Dieu, qui est avant toutes choses. La création est d’abord en lui-même, mais à l’état de possibilité, et non pas en acte ; plus tard elle en émane. Pourquoi ? « Dieu avait-il besoin de rayonner en dehors de lui, de se manifester dans les choses et les existences ? avait-il besoin d’être contemplé, d’être adoré, d’être aimé ? avait-il besoin de s’assurer de sa puissance de réalisa­tion ? ne lui suffisait-il pas d’être ? » Devant ces questions redoutables l’auteur ne trouve que cette