explication : « il ne faut pas lui demander compte de ses œuvres ; il lui a p ! u de sortir de son repos. » C’est son Verbe qui crée, « sa parole est le moule qui donne à notre planète une forme sphérique. » Pour ne parler que de l’homme, il en détache l’essence de l’intelligence universelle, il lui communique un pouvoir propre, et de sa propre volonté il détache aussi des volontés individuelles. Naguère encore la Providence avait une action irrésistible ; maintenant les volontés isolées ou concourant ensemble vont lui opposer une sorte de force des choses, un véritable destin, et introduire dans le monde le mal et le desordre, qui ne peuvent cesser que par un suprême et définitif accord de la Providence et de la liberté humaine, « une conlarréation universelle. » Mais avant ce retour à l’unité de volonté, il y a de longs siècles de malheur. Dieu ne peut tolérer la révolte, la lutte du fatum humain contre la volonté divine ; d’autre part il ne peut non plus se démentir, se repentir d’avoir créé des forces libres, ni les abolir. Il faut donc à la fois qu’il frappe l’humanité et qu’il la sauve, et que du même coup l’homme soit déchu et réhabilité. Les hommes n’avaient primitivement tous ensemble qu’une seule volonté, et par son unité même elle avait plus de puissance pour s’opposer à la Providence. Dieu brise ce pouvoir unique en une infinité de morceaux, et les éparpille dans chaque individu, pour diminuer la résistance primitive. De là les divisions, les discordes, une humanité coupée en tronçons, variant avec les nations, les familles, les individus ; de là des castes et des sexes différents. Car Dieu voulut séparer l’une de l’autre ces deux facultés coupables, l’intelligence et la volonté, et donna l’une a l’homme et l’autre à la femme « qui est l’expression volitive de l’homme. » Mais il y aura une palingénésie qui ramènera tout à l’unité (l’auteur ne dit pas si elle réalisera l’androgyne de Platon), et pour cette « nouvelle génération » Dieu a initié l’homme par sa parole, et lui a ordonné le retour à la loi. Cette révélation, mieux entendue de certains hommes, les élève à la dignité d’initiateurs ; ce sont les chefs des nations, les magistrats et les patriciens ; mais le christianisme fait la révélation égale pour tous : il est le but de toute l’évolution historique. Son règne doit assurer à l’homme, non pas le bonheur de l’homme, qui n’est passa vraie destinée, mais la grandeur. Toute créature, après une série d’épreuves qui ne se termine pas avec la vie, mais qui doit se poursuivre, suivant les besoins de chaque âme, jusqu’à l’expiation définitive, arrivera à la perfection de sa nature. La bonté universelle, voilà le terme de cette ascension, et le but vers lequel tous les progrès convergent.
On peut consulter sur Ballanche, outre l’étude que Sainte-Beuve lui a consacrée : de Laprade, Ballanche, sa vie et ses écrits, Paris, 1848. J. J. Ampère, Ballanche, Paris, 1848. E. C.
BALMÈS (Jacques-Lucien), philosophe espagnol, naquit à Vich en Catalogne, le 28 août 1810. Il entra dans les ordres, et s’etant voué à l’enseignement, il fut attaché au collège de sa ville natale comme professeur de mathématiques. Il prit part aux luttes politiques et religieuses de son pays, protesta contre la vente des biens du clergé et fut exilé par Espartero. Après la chute du régent, il vint fonder à Madrid un journal hebdomadaire : el Pensamienlos de la nacion, destiné à combattre les idées libérales. Il a laissé de nombreux ouvrages, parmi lesquels la philosophie peut réclamer en tout ou en partie les quatre suivants : Corso de filosofia clemental, Madrid, 1837, in-8 ; el Critcrio, Barcelone. 1845, in-8 : P’ilosofia fondamental, Barcelone, 1846, 4 vol.in-8 ;
el Protestantisme compar ado con cl Catolicismo en sus relaciones con la civilisacion Europea, Madrid. 1848, 3 vol. in-8. Les trois derniers ont été traauits en français, par M. l’abbé Edouard Monec : Art d’arriver au vrai, 1 vol. ; Philosophie fondamentale ? 3 vol. ; le Protestantisme comparé au Catholicisme dans ses rapports avec la civilisation européenne, 3 vol., Paris, Auguste Vaton, plusieurs éditions, in-8etin-18.
L’Espagne, qui tient une si grande place dans l’histoire des lettres et des arts, comme dans l’histoire politique des temps modernes, n’en a, pour ainsi dire, aucune dans l’histoire de la philosophie. Suarez n’y représente que le dernier effort de la scolastique expirante. Raymond Lulle, Raymond de Sebonde. Michel Servet ne lui appartiennent que par leur naissance. Si, de nos jours, elle a voulu avoir une philosophie, elle n’a su s’approprier que la moins philosophique des écoles contemporaines, l’école néo-catholique.
Balmès a été, en Espagne, le métaphysicien de cette école. C’est un homme de parti en politique et en religion. De là, dans l’exposition de ses idées, quelque chose de plus vivant, le fruit souvent amer, mais presque toujours plein de suc, d’une expérience personnelle. Il aime à prendre dans la politique ses exemples de logique, et il décrit avec finesse, en homme qui les a observées de près et qui n’en a pas été la dupe, les erreurs et les contradictions de l’esprit de parti. Mais il lui est plus facile de les signaler que de s’y soustraire. Dans son antipathie pour les idées démocratiques, il cite à plusieurs reprises, comme un exemple d’équivoque, l’idée de l’égalité, et il ne s’aperçoit pas qu’il y introduit lui-même la confusion dont il se plaint. L’égalité devant la loi ne lui paraît pas moins chimérique et moins injuste que l’égalité physique et l’égalité des biens : car, dit-il, une même loi appliquée au fort et au faible, au riche et au pauvre, au savant et à l’ignorant ne saurait produire des effets égaux. Or la chimère et l’injustice consisteraient précisément, pour l’égalité devant la loi, à tenir compte des différences de forces, de fortune ou d’éducation qui peuvent exister entre les hommes ; elle n’est un principe éminemment juste que parce qu’elle fait abstraction de ces différences inévitables, pour assurer à tous les droits, chez tous les individus, un égal respect.
C’est surtout au point de vue religieux que Balmès se laisse égarer par l’esprit de parti. Non contente de proclamer, comme la philosophie chrétienne du xvii® siècle, la conformité nécessaire de la raison et de la foi, ou, comme la scolastique, la subordination de la première à la seconde, l’école à laquelle il appartient confond les deux domaines ; elle ne se sert de la raison que comme d’un instrument de polémique au profit de la foi. Confusion pleine de périls et pour la philosophie et pour la théologie elle-même ! Mieux vaut renoncer à interroger la raison que de lui demander des réponses toutes faites, non pour se convaincre soi-même, mais pour convaincre ses adversaires. D’un autre côte, c’est faire bon marché de la foi que de mettre la raison à sa place, même pour assurer son triomphe. Balmès n’évite pas ce double écueil. Il fait entrer dans sa logique toute une démonstration de la religion catholique réduite aux points suivants : une révélation surnaturelle est possible ; elle est nécessaire ; elle a besoin, pour se conserver et pour se transmettre, d’une Église infaillible ; l’Ëglise catholique peut seule s’attribuer ce caractère d’infaillibilite ; l’autorité de l’Église une fois reconnue, toutes ses décisions exigent par elles-mêmes une soumission sans examen. Le rôle des apologistes serait bien simpli fié si quelques pages d’unedémonstration