Page:Franck - Dictionnaire des sciences philosophiques, 1875.djvu/232

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14croire (Leçon 28e ; et Physiol., sect. II, ch. v, p. 143). Enfin, et c’est là certainement le point le plus grave, Reid et Stcwart avaient reconnu et décrit de la manière la plus claire l’activité, la volonté, la liberté ; ils l’avaient nettement distinguée du désir, phénomène passif, fatal. Brown, sans oser combattre ouvertement la doc­trine que ses maîtres, d’accord avec le genre humain, avaient professée sur ce point, supprime purement et simplement cette grande faculté, sœur de l’intelligence et de la sensibilité, cette faculté si importante que de profonds métaphy­siciens ont cru pouvoir réduire l’homme a la puissance active, en le définissant une force libre. Dans ses Leçons, il se borne à garder le silence sur cette question capitale 5 comprenant sans doute qu’on ne pouvait guere enseigner à la jçunesse une doctrine qui avait des conséquences si funestes ; mais il s’explique clairement dans la Physiologie de l’esprit humain (p. 165), et plus encore dans son Traité de la relation de cause et d’effet : là, le disciple caché de Hume proclame, presque dans les mêmes termes que Condillac, que la volonté, sur laquelle, dit-il, on a tant divagué, n’est qu’un désir avec l’opinion que l’effet va suivre (voy. lre partie, sect. III, p. 39-43).

Pour achever de faire connaître un philosophe dont les écrits sont peu répandus en France, nous indiquerons brièvement le plan de ses leçons et les idées qui sont propres à l’auteur.

Brown divise la philosophie en quatre parties : Physiologie de l’esprit humain, Morale, Poli­tique, Théologie naturelle. Il emprunte à la médecine cette dénomination de Physiologie de l’esprit humain, ce qui indique assez la tendance de son esprit. Il ne fait pas de la logique une cinquième partie, mais il la remplace soit par des observations qui se trouvent répandues dans son analyse de l’intelligence (surtout dans les leçons 48, 49 et 50), soit par une longue intro­duction sur la Méthode, dans laquelle, assimilant les sciences philosophiques aux sciences natu­relles, il établit que dans les unes comme dans les autres il ne s’agit jamais que d’observer des rapports de coexistence et des rapports de suc­cession, de décrire des phénomènes complexes et de reconnaître des effets et des causes.

Dans la Physiologie de l’esprit humain, il di­vise tous les phénomènes psychologiques en états externes et états internes de l’âme, rapportant à la première classe les sensations, à la seconde les phénomènes intellectuels et les phénomènes ■moraux qu’il nomme émotions.

États externes. Il traite avec étendue des sen­sations et des rapports qu’elles ont avec les objets extérieurs, et réfute longuement ce que Reid avait enseigné sur la théorie des idées et la per­ception.

États internes. Il commence par l’intelligence, et, au lieu de cette diversité de facultés intellec­tuelles que l’on admet ordinairement, il ramène tous les faits à deux : la reproduction d’idées d’objets absents, qu’il nomme suggestion simple, et la perception des rapports entre les idées, qu’il nomme suggestion relative. A la premiere il rapporte la conception, l’imagination, la mémoire, l’habitude ; à la deuxième, le jugement, le rai­sonnement, l’abstraction, la généralisation ; en traitant de l’abstraction et de la généralisation, il combat à la fois les réalistes et les nominaux, et se rapproche du conceptualisme en demandant la permission de créer pour rendre son opinion le mot de relationaliste (Physiol., p. 295).

Dans l’étude des émotions il range les senti­ments en diverses classes, selon qu’ils se rap­portent au présent, au passé ou à l’avenir, et les nomme omettons immédiates, rétrospectives ou prospectives (ces dernières comprennent le désir et les passions qu’il engendre). Chacune de ces trois grandes classes se subdivise d’après la di­versité des objets qui excitent le sentiment, et selon que le sentiment implique ou non quelque idée morale. On y trouve une énumération com­plète et une analyse assez approfondie des passions ainsi que des sentiments du beau, du sublime, du bien moral, et une critique des diverses ex­plications qui en ont été proposées.

Les parties qui suivent, la Morale et la Théo­logie naturelle, offrent peu d’idées originales ; nous ne nous y arrêterons pas. Quant à la Po­litique, l’auteur ne l’aborde pas, et la renvoie à un enseignement d’un autre ordre.

Brown a pu faire aux philosophes écossais qui l’ont précédé quelques reproches de détail qui ne sont pas sans fondement, et qui d’ailleurs leur avaient été déjà souvent adressés, notamment par Priestley, comme de trop multiplier les prin­cipes, de ne pas faire de classifications scientifi­ques, d’avoir pris trop à la lettre, dans la question de la perception extérieure, certaines expressions peu rigoureuses de leurs prédécesseurs ; mais, en voulant éviter ces défauts, il est tombé dans un mal bien pire : il a fait des classifications arbitraires et artificielles ; il a, en croyant simpli­fier, supprimé ou dénaturé plusieurs des facultés de l’âme et, avant tout, la volonté ; sur les points les plus importants, notamment sur les questions de la causalité, de la perception des corps, il a compromis les résultats obtenus par ses maîtres ; et s’il n’a pas ouvertement professé le scepticisme et le fatalisme, il a mis la philosophie sur le bord de ces deux abîmes.

Du reste, si ses Leçons ne sont pas d’un pro­fond métaphysicien, elles attestent un homme d’esprit, un littérateur distingué, et offrent des descriptions exactes, des analyses délicates. Le style en est fleuri, poétique^ éloquent même parfois, bien que souvent diffus et vague. Elles ont obtenu une vogue extraordinaire dans la Grande-Bretagne et dans l’Amérique anglaise. Comme elles offrent un ensemble complet en apparence, elles sont devenues, dans la plupart des écoles, le manuel de l’enseignement.

La philosophie de Brown a été diversement jugée par ses compatriotes. Mackintosh, qui, il est vrai, était son ami, en fait le plus grand éloge, et s’appuie de son autorité pour confirmer sa propre theorie sur le fondement de la morale (vov. Histoire de la Philosophie morale, p. 370 de la trad. de M. Poret). Hamilton, au contraire, le juge très-sévèrement, et, prenant contre lui la défense de Reid dans la question de la per­ception et des idées, il soutient que les erreurs combattues par le philosophe de Glascow ne sont que trop réelles, et que c’est Brown qui n’a rien compris à la question qu’il traitait (voy. un long art. de M. Hamilton dans la Revue d’Edimbourg, octobre 1830, traduit en français par M. Peisse dans les Fragments de philosophie par William Hamilton, in-8, Paris, 1840). Quoi qu’il en soit, les doctrines de Brown ont acquis de l’autre côté du détroit une telle importance, que tout homme qui écrit sur les matières philosophi­ques, croit devoir les discuter et compter avec elles.

David Welsh, professeur d’histoire ecclésias­tique à Edimbourg. On peut consulter : Notice sur la vie et les écrits de Th. Broton, in-8, Edimb., 1825, qui fait connaître à fond l’homme, mais où le philosophe est jugé avec trop de fa­veur ; Rhétoré, Critique de la philosophie de Th. Brown, in-8.N. B.

BRUCE (Jean), publiciste et philosophe écos­sais,