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Page:Franck - Dictionnaire des sciences philosophiques, 1875.djvu/269

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début du moyen âge. Il n’est pas impossible qu’il ait commenté quelques parties de la Logi­que d’Aristote ; mais ces commentaires ne sont pas parvenus jusqu’à nous, et quelques allusions éparses dans ses autres écrits sont la seule trace qui nous en reste. En général, les ouvrages de Cassiodore manquent d’originalité ; on doit s’at­tendre à y trouver beaucoup de réminiscences et fort peu d’idées neuves. Son livre de l’Ame, qu’il composa lorsqu’il était préfet du prétoire, est peut-être de tous celui qui présente le plus d’intérêt. Pour faire ressortir l’importance de l’étude de la pensée, il demande s’il n’y aurait pas une sorte d’injustice à ne pas s’enquérir de ce qui s’occupe de tout, à ne rien savoir de ce qui sait tout. L’âme raisonnable étant l’image de la Divinité, Cassiodore conclut qu’ells est spirituelle. Ses expressions ne doivent pas être prises à la lettre, -lorsqu’il appelle l’esprit im­mortel une substance déliée, et qu’il fait de notre âme une lumière substantielle ; car il dit positivement ailleurs, que tout ce qui est cor­porel a trois dimensions, et que rien de sembla­ble ne se trouve dans notre âme, qu’elle n’a aucune quantité, ni celle de l’espace ou de l’é­tendue, ni celle du nombre. Bien que l’âme soit créée à l’image de Dieu, Cassiodore n’hésite pas à déclarer, avec tous les Pères de l’Église, qu’elle ne saurait être une partie de la sub­stance divine, puisqu’elle peut passer du bien au mal, ce qui est incompatible avec les attributs divins.

La meilleure édition des œuvres de Cassiodore est celle que dom Garet a donnée à Rouen, en 1679, 2 vol. in-f°, et qui a été réimprimée à Ve­nise en 1729. La Vie de Cassiodore a été publiée, avec des remarques, par D. de Sainte-Marthe, in-12, Paris, 1694. Voy. aussi : Cassiodore con­servateur des livres de l’antiquité laline, par Alex. Olleris, in-8, Paris,.1841 ; V. Durand, Quid scripserit de anima M. A. Cassiodorus, 1851, in-8.

CATÉGORIE, du mot grec κατηγορία, qui ne signifiait d’abord qu’Accusation, et auquel Aris­tote, le premier, donna le sens qu’il a gardé plus tard en philosophie. Dans cette acception nouvelle, il veut dire proprement Attribution ; mais pour quelques systèmes postérieurs, et particulièrement celui de Kant, le mot de caté­gorie a un sens tout différent. De plus, il est passé de la science dans le langage ordinaire, où il ne représente que l’idée de classe, c’est-à-dire la partie la plus générale et la plus vague de la notion totale qu’il embrassait d’abord. Pour se rendre un compte bien exact de ce que la phi­losophie, selon les diverses écoles, et le vulgaire, selon l’usage commun, entendent par catégorie, il faudrait dire que les catégories sont les clas­ses les plus hautes dans lesquelles sont distri­bués, soit des idées, soit des êtres réels, d’après un certain ordre de subordination et d’après certaines vues systématiques. Cette définition, sans être rigoureuse, pourrait s’appliquer cepen­dant en une certaine mesure, aux doctrines di­verses qui ont employé ce mot, et parfois aussi en ont abusé.

Les catégories reparaissent à plusieurs repri­ses dans l’histoire de la science, et l’on peut distinguer à côté de celles d’Aristote et de Kant, qui sont les plus célèbres, celles des philosophes indiens, et spécialement celles de Kanâda, celles des pythagoriciens, celles d’Archytas, celles des stoïciens, celles de Plotin. et dans la philosophie moderne, celles de Port Royal, qu’on peut re­garder aussi comme étant celles de Descartes. On conçoit sans peine que, sous un mot identi­que, on a compris dans tous ces systèmes, sépa­rés par tant de siècles et si dissemblables, des choses fort différentes. Mais du moins, tous ces efforts, quelque divers qu’ils soient, attestent un besoin de l’intelligence qu’ils avaient tous pour but de satisfaire. Quel est au juste ce besoin ? Qu’y a-t-il d’analogue et de permanent sous la variété de tous ces essais ? Que doivent être pré­cisément les catégories ? C’est ce qu’on ne peut bien dire qu’après avoir su historiquement le caractère et la portée des tentatives faites suc­cessivement par les grandes écoles ou les hommes de génie.

Pour tous les systèmes de la philosophie in­dienne, si nombreux, si originaux, mais si obs­curs, nous ne pouvons presque r.’en savoir en­core, si ce n’est par Colebrooke ; et Colebrooke, qui n’était pas très-versé dans la philosophie, a vu souvent des analogies où il n’y en avait pas, et les a exagérées là où il y en avait. Ce n’est donc qu’avec circonspection qu’il faut recevoir son témoignage, tout précieux qu’il est. A quelle époque d’ailleurs remontent les catégories in­diennes ? c’est ce que Colebrooke n’a pas dit, c’est ce qu’il est jusqu’à présent impossible de dire avec quelque apparence d’exactitude. Si donc on y trouve des ressemblances frappantes avec celles d’Aristote, il faudra se borner à constater ces rapports, sans pouvoir affirmer que tel des deux systèmes est l’original et l’autre la copie. Il faut remarquer que le mot tradùit par celui de catégorie dans les ouvrages de Co­lebrooke est en sanscrit un peu different. Padârtha ne signifie pas attribution, il signifie sens des mots (artha, sens, pada, mot), et l’idée en est, par conséquent, plus précise que celle du mot grec. Le mot d’ailleurs est plus spécial à la philosophie véiséshikâ fondée par Kanâda, bien que toutes les écoles indépendantes ou ortho­doxes aient aussi des théories analogues. Les catégories ou padârthas de Kanâda sont au nom­bre de six : la substance, la qualité, l’action, le commun, le propre et la relation. Une septième catégorie est ajoutée le plus ordinairement jur les commentateurs : c’est la privation ou néga­tion des six autres. Les six premières sont posi­tives ; la dernière est négative (bhùva, abhâva). Sous la substance, Kanâda range les corps ou les agents naturels dans l’ordre suivant : la terre, l’eau, la lumière, l’air, l’éther, le temps, l’es­pace, l’âme et l’esprit. Chacune de ces substan­ces a des qualités propres qui sont énumérées avec le plus grand soin.

Les catégories de Kanâda peuvent donner lieu à deux remarques : 1° elles sont presque identi­quement celles d’Aristote ; 2° c’est une classifi­cation des choses matérielles, plus encore que des mots.

A côté des catégories de Kanâda, Colebrooke place celles de Gotâma ; mais Colebrooke em­ploie ici un mot qui n’est pas applicable, et ces prétendues catégories ne sont que l’ensemble des lieux communs de la discussion régulière, selon le système logique de Gotâma, le nyâya. C’est ce qui a été prouvé par M. Barthélémy Saint-Hilaire (voy. les Mémoires de ΓAcadémie des sciences morales et politiques, t. III). Ces ca­tégories sont au nombre de seize : la preuve, l’objet de la preuve, le doute, le motif, l’exem­ple, l’assertion, les membres de l’assertion ré­gulière (ou pretendu syllogisme indien), le rai­sonnement supplétif, la conclusion, l’objection, la controverse, la chicane, le sophisme, la fraude, la réponse futile et enfin la réduction au si­lence. Ce sont là, comme on voit, des topiques de pure dialectique, de rhétorique ; ce ne sont pas des catégories, ni au sens de Kanâda, ni au sens d’Aristote.Colebrooke a signalé