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l’époque où il vécut, sa patrie, le lieu où il enseigna, et le titre de ses écrits. Sur tout le reste, il faut renoncer même aux conjectures.

Fabricius (ad Sext. Emp., Hypoth. Pyrrh., lib. I, c. ccxxxv) et Brucker (Hist. crit. phil.) ont pensé qu’Ænésidème vivait du temps de Cicéron. Cette opinion n’a d’autre appui qu’un passage de Photius mal interprété (Phot., Myriob., cod. ccxII, p. 169, Bekk.) ; il résulte, au contraire, d’un témoignage décisif d’Aristoclès (ap. Euseb., Præp. evang., lib. XIV), que la véritable date d’Ænésidème, c’est le premier siècle de l’ère chrétienne.

Ænésidème naquit à Cnosse, en Crète (Diogène Laërce, liv. IX, c. xII) ; mais c’est à Alexandrie qu’il fonda son école et publia ses nombreux écrits. (Arist. ap. Euseb., lib. I.)

Aucun de ses ouvrages n’est arrivé jusqu’à nous. Celui dont la perte est le plus regrettable, c’est le Πυρρωνίων λόγοι, que nous ne connaissons que bien imparfaitement par l’extrait que Photius nous en a donné (Phot., Myriob., lib I). C’est dans ce livre que se trouvait très-probablement l’argumentation célèbre contre l’idée de causalité, que Sextus nous a conservée et qui est le principal titre d’honneur d’Ænésidème (Sext. Emp., Advers. Math., éd. de Genève, p. 345-351, C, Cf. Pyrrh. Hyp., lib I, c. xvII.)

Tennemann a dit avec raison que cette argumentation est l’effort le plus hardi que la philosophie ancienne ait dirige contre la possibilité de toute connaissance apodictique ou démonstrative, en d’autres termes, de toute métaphysique.

Aucun sceptique, avant Ænésidème, n’avait eu l’idée de discuter la possibilité et la légitimité d’une de ces notions a priori qui constituent la métaphysique et la raison, afin de les détruire l’une et l’autre dans leur racine et, pour ainsi dire, d’un seul coup. Cette idée est hardie et profonde. Mûrie par le temps, et fécondée par le génie, elle a produit dans le dernier siècle la Critique de la Raison pure, et un des mouvements philosophiques les plus considérables qui aient agité l’esprit humain.

On ne peut non plus méconnaître qu’Ænésidème n’ait fait preuve d’une grande habileté, lorsque, pour contester l’existence de la relation de cause à effet, il s’est placé tour à tour à tous les points de vue d’où il est réellement impossible de l’apercevoir. C’est ainsi qu’il a parfaitement établi, avant Hume, qu’à ne consulter que les sens, on ne peut saisir dans l’univers que des phénomènes, avec leurs relations accidentelles, et jamais rien qui ressemble à une dépendance nécessaire, à un rapport de causalité.

Que si l’on néglige les idées grossières des sens pour s’élever à la plus haute abstraction métaphysique, Ænésidème force le dogmatisme à confesser que l’action de deux substances de nature différente l’une sur l’autre, ou même celle de deux substances simplement distinctes, sont des choses dont nous n’avons aucune idée.

Et, de tout cela, il conclut que la relation de causalité n’existe pas dans la nature des choses. Mais, d’un autre côté, obligé d’accorder que l’esprit humain conçoit cette relation et ne peut pas ne pas la concevoir, il s’arrête à ce moyen terme, que la loi de la causalité est, à la vérité, une condition, un phénomène de l’intelligence, mais qu’elle n’existe qu’à ce seul titre, et de là le scepticisme absolu en métaphysique.

Si Pyrrhon, dans l’antiquité, conçut le premier dans toute sa sévérité la philosophie du doute, la fameuse έποκη), on ne peut refuser à Ænésidème l’honneur de lui avoir donné pour la première fois une organisation puissante et régulière. Et c’est là ce qui assigne à ce hardi penseur une place à part et une importance considérable dans l’histoire de la philosophie ancienne.

Dans ses Πυρρωνίων λόγοι, il avait institué un système d’attaque contre le dogmatisme, où il le poursuivait tour à tour sur les questions logiques, métaphysiques et morales, embrassant ainsi dans son scepticisme tous les objets de la pensée, les principes et les conséquences, la spéculation pure et la vie.

Mais tous ses travaux peuvent se résumer en deux grandes attaques, qui, souvent répétées depuis, ont fait jusque dans les temps modernes une singulière fortune, l’une contre la raison en général, l’autre contre son principe essentiel, le principe de causalité. Soit qu’il s’efforce d’établir la nécessité et tout à la fois l’impossibilité d’un critérium absolu de la connaissance, soit qu’il entreprenne de ruiner la métaphysique par son fondement, il semble qu’il lui ait été réservé d’ouvrir la carrière aux plus illustres sceptiques de tous les âges Par la première attaque, il a devancé Kant ; par la seconde, David Hume ; par l’une et par l’autre, il a laissé peu à faire a ses successeurs.

Consultez, sur Ænésidème, les Histoires générales de Brucker (Hist. crit. philos., t. Ι, p. 1328, Leipzig, 1760) et de Ritter (Hist. de la phil. ancienne, t. IV. p. 233 sqq, trad. Tissot, Paris, 1836), l’histoire spéciale de Stœudiin (Histoire et Esprit du scepticisme, 2 vol. in-8, t. I, p. 299 sqq., Leipzig, 1794, ail) ; un article de Tennemann dans l’Encyclopédie de Ersch., IIe part, et la monographie d’Ænésidème, par M. Ε Saisset, in-8, Paris, 1840, réimprimée dans l’ouvrage du même auteur, le Scepticisme, in-8, Paris, 1865.

EM. S.


ÆSCHINE d’Athènes, disciple de Socrate, auquel on attribue des dialogues socratiques, entre autres Eryxias et Axiochus. Voy. Diogène Laërce, liv. II. — Boeckh, Simonis Socratici dialogi quatuor. Additi sunt incerti auctoris (vulgo Æschinis), dialogi Eryxias et Axiochus. Heidelb., 1810, in-8.

AFFECTION (de afficere, même signification) a un sens beaucoup plus étendu en philosophie que dans le langage ordinaire : c’est le nom qui convient à tous les modes de sensibilité, à toutes les situations de l’âme où nous sommes relative­ment passifs. On peut être affecté agréablement ou d’une manière pénible, d’une douleur ou d’un plaisir purement physique, comme d’un senti­ment moral. « Toute intuition des sens, dit Kant (Analyt. transcend., 1re sect.), repose sur des affections, et toute représentation de l’entende­ment, sur des fonctions. » Cependant il faut re­marquer que, lorsqu’il s’agit d’une signification aussi générale, notre langue se sert plutôt du verbe que du substantif. Dans la psychologie écossaise, les affections sont les sentiments que nous sommes susceptibles d’éprouver pour nos semblables ; en conséquence, elles se divisent en deux classes : les affections bienveillantes et les affections malveillantes. Enfin, dans le langage usuel, on entend toujours par affection ou l’a­mour en général, ou un certain degré de senti­ment. Cette dernière définition a été adoptée par Descartes, dans son Traité des Passions (art. Lxxxiii). Voy. Amour et Sensibilité.

AFFIRMATION (κατάφασις). Elle consiste à attribuer une chose à une autre, ou à admettre simplement qu’elle est ; car l’être ne peut pas passer pour un attribut, quoiqu’il en occupe sou­vent la place dans le langage. L affirmation, quand elle est renfermée dans la pensée, n’est pas autre chose qu’un jugement ; exprimée par la parole, elle devient une proposition. Ce jugement et cette proposition sont appelés l’un et l’autre affirma­tifs. Il faut remarquer qu’un jugement affirmatif