c’est-à-dire, selon le plan de la cosmologie cartésienne, dans cet espace infini qui s’étend au delà des étoiles fixes. C’est dans cette région solitaire, où, pour ainsi dire, la puissance divine elle-même n’a pas encore pénétré, qu’elle travaille à la construction d’un monde selon les principes de la philosophie nouvelle, et qu’elle continue ses relations avec quelques disciples d’élite instruits comme elle à se séparer de leurs corps sans mourir. Deux de ses disciples, dont l’un est le P. Mersenne, ont conduit notre voyageur près de leur maître, dans ce monde encore ignore qui va s’échapper de ses mains ; et, à peine revenu sur la terre, il a besoin de nous raconter tout ce qu’il a vu et entendu.
Dans ce récit où l’esprit et l’imagination ne manquent pas, quoique employés d’une manière un peu frivole, se trouve encadrée la discussion, plus ou moins sérieuse, de tous les principes importants et de toutes les parties du système philosophique de Descartes. Ainsi qu’on pouvait s’y attendre, il n’en est point de plus maltraitée que la métaphysique et les règles générales de la méthode ; car c’est là précisément que l’esprit d’indépendance et de litre examen, c’est-à-dire le principe même de toute philosophie, se montre en quelque façon dans son centre, appliqué aux questions les plus élevées et avec une entière conscience de lui-même. Les Méditations métaphysiques, et tous les écrits qui s’y rattachent, sont, à ce que nous assure le P. Daniel, le plus méchant, le plus inutile des ouvrages de Descartes. Quant aux raisons qu’il en donne, comme elles ne sont que la reproduction des objections d’Arnauld, de Gassendi, du P. Mersenne, et de beaucoup d’autres, nous n’avons pas à nous en occuper. Il veut bien admettre que dans le Discours de la Méthode il y ait quelques maximes vraiment sages et utiles ; mais, en revanche, il ne trouve rien d’aussi dangereux que la séparation entière et l’indépendance mutuelle de la philosophie et de la théologie. Il veut, au contraire, quoi que disent les disciples de Descartes, que l’autorité religieuse ait sur la philosophie la haute surveillance, afin qu’elle n’avance rien qui puisse blesser même indirectement le dogme révélé (Voyage du monde de Descartes, Ire partie, p. 276). Accordez-lui ce seul point, le droit de surveillance, non-seulement sur les principes, mais sur les conséquences les plus éloignées de tout système philosophique, et vous le trouverez sur le reste de facile accommodement. Il est loin de tout blâmer dans la nouvelle philosophie et de toujours blâmer à tort ; il ne montre pas plus d’opiniâtreté à admirer tout dans la philosophie ancienne. Voici, dans sa propre bouche, l’énumération de tous les biens qu’a produits, même dans l’école, l’avènement du cartésianisme : « Depuis ce temps-là on y est plus réservé à traiter de démonstrations les preuves qu’on apporte de ses sentiments. On n’y déclare pas si aisément la guerre à ceux qui parlent autrement que nous, et qui souvent disent la même chose. On y a appris à douter de certains axiomes qui avaient été jusqu’alors sacrés et inviolables, et enfles examinant, on a trouvé quelquefois qu’ils n’étaient pas dignes d’un si beau nom. Les qualités occultes y sont devenues suspectes et n’y sont plus si fort en crédit. L’horreur du vide n’est plus reçu que dans les écoles où l’on ne veut pas faire la dépense d’acheter des tubes de verre. On y fait des expériences de toutes sortes d’espèces, et il n’y a point maintenant de petit physicien qui ne sache sur le bout du doigt l’histoire de l’expérience de M. Pascal » (ubi supra, IIIe partie, p. 137).
Quant à ce qui regarde la philosophie péripatéticienne, il ne se raille pas moins des formes substantielles, des accidents absolus, des espèces intentionnelles, et, comme nous venons de le voir par le passage précédent, des qualités occultes, que des tourbillons, du mécanisme des bêtes, des causes occasionnelles et des hypothèses les plus décriées de la nouvelle école. Il raconte avec beaucoup de malice les peines que les péripatéticiens se sont données, et se donnaient encore de son temps, pour découvrir dans les écrits d’Aristote la matière éthérée, la démonstration de la pesanteur de l’air, la théorie de l’équilibre des liquides, et tous les principes de la physique cartésienne, que l’expérience et la raison semblaient avoir confirmés.
Au fond, peu lui importe, soit l’ancienne, soit la nouvelle doctrine ; il n’a pas plus de foi dans l’une que dans l’autre, et dans la raison elle-même. Il ne craint pas de dire qu’on est pour Descartes ou pour Aristote, selon les préjugés dans lesquels on a été élevé, selon les habitudes qu’on a données à son esprit, ou selon les passions et les rivalités du moment. Ainsi, Descartes, à ce qu’il nous assure, avait d’abord cherché à gagner les Jésuites. « C’eût été pour lui, dit-il, un coup de partie, et ses affaires après cela allaient toutes seule. » Mais les Jésuites s’étant déclarés contre son système, cela même engagea les jansénistes et aussi l’ordre de l’Oratoire à en prendre la défense. Les jansénistes le mirent à la mode parmi les dames, et celles-ci lui donnèrent en peu de temps une vogue presque universelle ; à tel point qu’on ne rencontre plus guère de péripatéticiens que dans les universités et dans les collèges. Encore, comme nous l’avons vu tout à l’heure, se mettent-ils l’esprit à la torture pour faire du leur maître Aristote un bon cartésien (ubi supra, IIIe partie, p. 144 et suiv.). Si, malgré cette profonde et sceptique indifférence où le laissent les deux écoles rivales, il s’est décidé avec tout son ordre à prendre parti pour Aristote, c’est qu’il pense avec Colbert qu’ayant à choisir entre deux folies, une folie ancienne et une folie nouvelle, il faut préférer l’ancienne à la nouvelle (Ve partie, p. 279). D’ailleurs, fût-il entièrement convaincu de la supériorité du cartésianisme, ce ne serait pas encore pour lui une raison de ne pas le combattre. « On peut, dit-il (IIIe partie, p. 147), ne pas désapprouver les opinions d’un philosophe considérées en elles-mêmes et se trouver en même temps dans une telle conjoncture, que la prudence oblige d’en arrêter le cours. » Ces paroles n’ont pas besoin de commentaire ; l’esprit des Jésuites s’y révèle tout entier.
Il nous reste peu de chose à dire sur le Traité métaphysique de la nature du mouvement. Ce petit écrit, à part quelques principes généraux qui tendraient à détruire la science de la mécanique, est une critique pleine de bon sens de la théorie des causes occasionnelles, et en général de l’opinion cartésienne sur les rapports de l’âme et du corps. Mais, bien qu’il soit dirigé contre Descartes, il est plein de l’esprit cartésien, c’est-à-dire de l’esprit d’observation, et signale la haute puissance de ces idées nouvelles que ni la ruse ni la violence, ni les satires les plus spirituelle n’ont pu empêcher de régénérer la science et. jusqu’à un certain point, la société elle-même.
DANTE ALIGHIERI (Florence, 1265. — Ravenne, 1321) ; le plus grand poëte de l’Italie, l’a aussi illustrée comme philosophe :
dit l’épitaphe composée par Giovanni del Virgilio.
« II s’était acquis une telle gloire dans tous les