Page:Freud - Introduction à la psychanalyse (trad. Jankélévitch), 1923.djvu/425

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je vous en donnerai la solution complète, mais vous prévoyez sans doute que la psychanalyse s’attaquera à ce problème, comme à tant d’autres, par des moyens différents de ceux dont se sert la médecine traditionnelle. Celle-ci porte son principal intérêt sur le point de savoir quel est le déterminisme anatomique de l’angoisse. Elle déclare qu’il s’agit d’une irritation du bulbe, et le malade apprend qu’il souffre d’une névrose du vague. Le bulbe, ou moelle allongée, est un objet très sérieux et très beau. Je me rappelle fort bien ce que son étude m’a coûté jadis de temps et de peine. Mais je dois avouer aujourd’hui qu’au point de vue de la compréhension psychologique de l’angoisse rien ne peut m’être plus indifférent que la connaissance du trajet nerveux suivi par les excitations qui émanent du bulbe.

Et, tout d’abord, on peut parler longtemps de l’angoisse sans songer à la nervosité en général. Vous me comprendrez sans autre explication si je désigne cette angoisse sous le nom d’angoisse réelle, par opposition à l’angoisse névrotique. Or, l’angoisse réelle nous apparaît comme quelque chose de très rationnel et compréhensible. Nous dirons qu’elle est une réaction à la perception d’un danger extérieur, c’est-à-dire d’une lésion attendue, prévue, qu’elle est associée au réflexe de la fuite et qu’on doit par conséquent la considérer comme une manifestation de l’instinct de conservation. Devant quels objets et dans quelle situation l’angoisse se produit-elle ? Cela dépend naturellement en grande partie du degré de notre savoir et de notre sentiment de puissance en face du monde extérieur. Nous trouvons naturelles la peur qu’inspire au sauvage la vue d’un canon et l’angoisse qu’il éprouve lors d’une éclipse du soleil, alors que le blanc qui sait manier le canon et prédire l’éclipse n’éprouve devant l’un et l’autre aucune angoisse. Parfois, c’est le fait de trop savoir qui est cause de l’angoisse, parce qu’on prévoit alors le danger de très bonne heure. C’est ainsi que le sauvage sera pris de peur en apercevant dans la forêt une piste qui laissera indifférent un étranger, parce que cette piste lui révélera le voisinage d’une bête fauve, et c’est ainsi encore que le marin expérimenté regardera avec effroi un petit nuage qui s’est formé dans le ciel, nuage qui ne signifie rien pour le voyageur,