Page:Freud - Psychopathologie de la vie quotidienne, trad. Jankélévitch, 1922.djvu/229

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Un jour elle fut victime d’un accident qui eut pour conséquence une mutilation grave, mais heureusement momentanée, de la face. Dans une rue en réfection, elle trébucha contre un tas de pierres et se trouva projetée la face contre un mur. Elle rentra chez elle, la face couverte de plaies, les paupières bleues et œdématiées. Inquiète pour ses yeux, elle fit venir le médecin. Après l’avoir rassurée, je lui demandai : « mais pourquoi êtes-vous donc tombée ainsi ? » Elle me répondit qu’il n’y a pas longtemps elle avait prévenu son mari qui, souffrant d’une affection articulaire, n’était pas solide sur ses jambes, de faire attention en passant dans cette rue, et elle a déjà eu l’occasion de constater plus d’une fois ce fait bizarre qu’elle est toujours elle-même victime des accidents contre lesquels elle met en garde les autres.

« Cette explication de son accident ne m’ayant pas satisfait, je lui demande si elle n’a rien de plus à me raconter. Et voilà qu’elle se rappelle qu’immédiatement avant l’accident elle avait vu dans une boutique en face un joli tableau et s’étant dit que ce tableau garnirait bien la chambre de ses enfants, elle s’était décidée à l’acheter ; elle sortit donc de chez elle et se dirigea droit vers la boutique, sans faire attention à la rue, trébucha contre le tas de pierres et tomba la face contre le mur, sans faire la moindre tentative de parer le coup en étendant les bras. Son projet d’acheter le tableau fut aussitôt oublié, et elle rentra hâtivement chez elle.

— Mais pourquoi n’avez-vous pas fait davantage attention ? — lui ai-je demandé.

— Il s’agissait peut-être d’un châtiment, fut sa réponse ; d’un châtiment pour ce que je vous ai déjà raconté confidentiellement.

— Alors, cette histoire n’a jamais cessé de vous tourmenter ?

— Après cette histoire, j’avais des remords, je me considérais comme une femme méchante, crimi-