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[1332]
CHRONIQUES DE J. FROISSART.

l’évêque de Liége, l’archevêque de Coulogne[1], le duc de Guerles, le marquis de Juliers, le comte de Bar, le comte de Los, le sire de Fauquemont et plusieurs autres seigneurs furent alliés en contre le dit duc, et le défièrent tous, au pourchas et requête du dessus dit roi. Et entrèrent tantôt en son pays parmi Hesbaing, et allèrent droit à Hanut[2], et ardirent tout à leur volonté par deux fois, eux demeurans au pays, tant que bon leur sembla. Et envoya avec eux le comte d’Eu son connétable, atout grand’compagnie de gens d’armes, pour mieux montrer que la besogne étoit sienne, et faite à son pourchas ; et tout ardoient son pays. Si en convint le comte Guillaume de Hainaut ensonnier ; et envoya madame sa femme, sœur du roi Philippe, et le seigneur de Beaumont, son frère, en France pardevers le dit roi, pour impétrer une souffrance et une trêve de lui d’une part, et du duc de Brabant d’autre. Trop ennuis et à dureté y descendit le roi de France, tant avoit-il pris la chose en grand dépit. Toute fois, à la prière du comte de Hainaut son serourge, le roi s’humilia, et donna et accorda trêves au duc de Brabant[3], parmi ce que le duc se mit du tout au dit et en l’ordonnance du propre roi de France et de son conseil, de tout ce qu’il avoit à faire au roi et à chacun de ces seigneurs qui défié l’avoient ; et devoit mettre, dedans un certain jour qui nommé y étoit, monseigneur Robert d’Artois hors de sa terre et de son pouvoir, si comme il fit moult ennuis ; mais faire lui convint, ou autrement il eût eu trop forte guerre de tous côtés, si comme il étoit apparant. Si que, entrementes que ce toullement et ces besognes se portoient, ainsi que vous oyez recorder, le roi anglois eut nouveau conseil de guerroyer le roi d’Escosse son serourge : je vous dirai à quel titre.


CHAPITRE LV.


Comment la guerre recommença entre le roi d’Angleterre et le roi d’Escosse et sur quel titre ; et comment messire Robert d’Artois vint en Angleterre.


Vous avez ouï bien recorder ci-dessus de la guerre du roi Robert d’Escosse et du roi d’Angleterre, et comment unes trêves furent prises à durer trois ans, et là dedans ce roi Robert mourut, et en après du mariage qui fut fait de la sœur au roi d’Angleterre et du fils ce roi Robert, qui fut roi d’Escosse après la mort de son père, et l’appeloit-on le roi David[4]. Le temps que ces trêves durèrent, et encore un an après ou environ, furent les Escots et les Anglois bien à paix ; ce que on n’avoit point vu par avant, passé avoit deux cents ans, qu’ils ne se fussent guerroyés et hariés. Or avint que le jeune roi d’Angleterre fut informé que le roi d’Escosse son serourge étoit saisi de Bervich qui devoit être de son royaume, et que le roi Édouard son ayeul l’avoit toujours tenue paisiblement et franchement, et son père après, un grand temps ; et fut informé que le royaume d’Escosse mouvoit de lui en fief, et que le jeune roi d’Escosse son serourge ne l’avoit encore relevé, ni fait son hommage[5]. Il en eut indignation, et envoya

  1. Comme ces hostilités durent avoir lieu vers la fin de l’année 1331, et cessèrent avant le 8 juillet de l’année suivante, date du traité dont j’ai parlé ci-dessus, il est difficile de déterminer si l’archevêque de Cologne dont il s’agit ici est Henri de Virneburg ou Virnaborch, qui mourut durant cet intervalle ou Valrame de Juliers qui lui succéda.
  2. Hannut ou Hannuye, petite ville située sur la Ghète, dans le district de Louvain.
  3. Froissart veut probablement désigner le traité conclu le 8 juillet 1332, dont on vient de parler ; ainsi on peut commencer à compter ici cette année.
  4. Ce morceau, concernant la guerre d’Écosse, est très incomplet : Froissart omet les événemens les plus importans et ne raconte que ceux auxquels Édouard prit part ouvertement. Il ne parle point de l’expédition qu’Édouard Balliol, fils de Jean, détrôné trente-huit ans auparavant par Édouard Ier, fit contre David Bruce, à l’instigation d’Édouard III, qui voulait anéantir le traité conclu avec l’Écosse la première année de son règne. Il nous laisse ignorer les différentes victoires que Balliol, aidé secrètement par Édouard III, remporta sur David Bruce qui fut enfin obligé d’aller avec sa femme chercher un asile en France. Il ne parle point non plus du couronnement du même Balliol à Scone, au mois de septembre 1332, ni de l’hommage que ce prince rendit au roi d’Angleterre pour le royaume d’Écosse, ni de la cession qu’il lui fit de Berwick, le 23 novembre de cette même année 1332, ni de plusieurs autres faits qui méritaient bien d’être racontés. Froissart, ou plutôt Jean-le-Bel, les ignoroit sans doute, puisqu’il passe subitement, sans même les indiquer, à la rupture ouverte entre l’Angleterre et l’Écosse, rupture qui ne fut déclarée que le 30 mars 1333 ; mais cette omission est suppléée par les historiens anglais tant anciens que modernes, par le continuateur de Nangis, etc.
  5. Cette phrase prouve que Froissart n’avait aucune connoissance du traité conclu le 1er mars 1328 entre Édouard III et Robert Bruce, par lequel Édouard renonça à toutes ses prétentions de suzeraineté sur l’Écosse, et qu’il ignorait entièrement les causes de la guerre dont il va raconter quelques événemens.