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CHRONIQUES DE J. FROISSART.

Gille de Mauny que on dit Grignart, lequel fit depuis à ceux de Cambrésis et à la cité de Cambray plusieurs détourbiers ; et faisoit ses courses trois ou quatre fois la semaine jusques devant la bonne cité de Cambray ; et venoit escarmoucher jusqu’aux barrières, où il faisoit moult grandes et belles appertises d’armes, car le dit château de Thun siéd à une lieue près de la dite cité de Cambray.

Quand monseigneur Gautier de Mauny eut fait ses entreprises, ainsi comme je vous ai conté ci-devant, il s’en retourna atout grand profit, avec une partie de ses compagnons, car il en avoit laissé une partie avec monseigneur Grignart son frère, pour lui aider à garder Thun-l’Évêque, et fit tant qu’il vint en Brabant par devers le roi Édouard d’Angleterre, son seigneur, qu’il trouva à Malignes, qui le reçut et conjouit moult grandement, et lui rccorda une grande partie de ses chevauchées, et comment il avoit pris Thun-l’Évêque, et illuec mis et laissé son frère en garnison contre ceux de Cambray ; dont le roi anglois fut moult durement réjoui quand il l’eut ainsi ouï parler, et le tint à moult grand vasselage et grand’prouesse, comme vrai étoit.


CHAPITRE LXXX.


Comment le roi de France se pourvut bien et grandement de gens d’armes et envoya grands garnisons au pays de Cambrésis ; et comment les Normands prirent Bantonne.


Vous avez bien ci-dessus oui recorder sur quel état les seigneurs de l’Empire se départirent du roi anglois, et du parlement qui fut à Malignes, et comment ils envoyèrent défier le roi de France. Sitôt que le roi Philippe se sentit défié du roi anglois et de tous ses alliés, il vit bien que c’étoit acertes, et qu’il auroit la guerre. Si se pourvut selon ce bien et grossement, et retint gens d’armes et soudoyers à tous côtés, et envoya grands garnisons en Cambrésis ; car il pensoit bien que de ce côté il auroit premièrement assaut. Et envoya messire le Galois de la Baume[1], un bon chevalier de Savoye, devers Cambray, et le fit capitaine, avec messire Thibaut de Moreuil et le seigneur de Roye ; et étoient bien, que Savoisiens que François, deux cents lances ; et envoya encore le dit roi Philippe saisir le comté de Ponthieu que le roi d’Angleterre avoit tenu par avant de par madame sa mère, et manda et pria aucuns seigneurs de l’Empire, tels comme le comte de Hainaut, le duc de Lorraine, le comte de Bar, l’évêque de Metz[2], l’évèque de Liége monseigneur Aoul de la Marche, que ils ne fissent nul mauvais pourchas contre lui ni à son royaume. Le plus de ces seigneurs lui mandèrent que ainsi ne feroient-ils. Et adonc le comte de Hainaut lui rescripvit moult courtoisement et lui signifia qu’il seroit appareillé à lui et à son royaume aider à défendre et garder contre tout homme ; mais si le roi anglois vouloit guerroyer en l’Empire, comme vicaire et lieutenant de l’empereur, il ne lui pouvoit refuser son pays ni son confort, car il tenoit en partie sa terre de l’empereur : si lui doit, ou à son vicaire, toute obéissance. De cette rescription se contenta le roi de France assez bien, et laissa passer légèrement, et n’en fit nul grand compte, car il se tenoit fort assez pour résister contre ses ennemis.

Si très tôt que messire Hue Kieret et ses compagnons qui se tenoient sur mer entendirent que les défiances étoient et la guerre ouverte entre France et Angleterre, ils vinrent un dimanche au matin au hâvre de Hantonne[3], entrementes que les gens étoient à messe ; et entrèrent les dits Normands et Gennevois en la ville, et la prirent, et la pillèrent, et robèrent tout entièrement, et y tuèrent moult de gens, et violèrent plusieurs femmes et pucelles, dont ce fut dommage, et chargèrent leurs nefs et leurs vaisseaux de grand pillage qu’ils trouvèrent en la ville, qui étoit pleine, drue et bien garnie, et puis rentrèrent en leurs nefs[4]. Et

  1. Étienne de La Baume, dit le Galois, grand maître des arbalétriers de France.
  2. Ademare de Monteil.
  3. Southampton.
  4. Ce n’était là qu’un léger témoignage du zèle qui animait alors les Normands. Ils désiraient avec tant d’ardeur porter la guerre en Angleterre, qu’ils envoyèrent, au commencement de cette année, proposer au roi d’en faire la conquête à leurs frais, s’il voulait mettre à leur tête leur duc son fils atné. Leurs députés furent admis à l’audience du roi au bois de Vincenncs, le 23 mars 1338 (1339), et leurs offres furent acceptées. Il fut convenu qu’ils fourniraient pour cette expédition quatre mille hommes d’armes et vingt mille hommes de pied, dont cinq mille arbalétriers, tous pris dans la province, excepté mille hommes d’armes que le duc pourrait choisir ailleurs et qui seraient néanmoins stipendiés par les Normands. Ils s’obligeaient à entretenir ces troupes à leurs dépens pendant dix semaines, et même quinze jours en