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LIVRE I. — PARTIE I.

Suffole, et connétable d’Angleterre le comte de Warvich ; et passèrent assez près du mont Saint-Martin les Anglois, les Allemands et les Brabançons, la rivière d’Escaut, tout à leur aise, car elle n’est mie là endroit trop large.


CHAPITRE LXXXV.


Comment le comte de Hainaut prit congé du roi d’Angleterre aussitôt qu’il entra au royaume de France ; et comment le roi de France envoya son connétable à Saint-Quentin pour garder la ville et la frontière.


Quand le comte de Hainaut eut conduit et accompagné le roi d’Angleterre jusques au département de l’Empire, et qu’il devoit passer l’Escaut et entrer au royaume, il prit congé de lui et lui dit que, tant qu’à cette fois, il ne chevaucheroit plus avec lui ; et que il étoit prié et mandé du roi de France son oncle, à qui il ne vouloit point de haine ; mais l’iroit servir au royaume, en telle manière comme il l’a voit servi en l’Empire. Et le roi lui dit : « Dieu y ait part ! » Donc se partit le comte de Hainaut du roi d’Angleterre à toutes ses routes, et le comte de Namur avec lui, et s’en renvinrent arrière au Quesnoy ; et donna le comte congé à la plus grand’partie de ses gens : mais il leur dit et pria qu’ils fussent tous pourvus, car il vouloit aller dedans brief jour devers le roi son oncle ; et ils lui répondirent que ainsi seroient-ils. Or parlerons du roi d’Angleterre et de tous ses alliés comment ils persévérèrent.

Si très tôt que le roi d’Angleterre eut passé la rivière de l’Escaut, et il fut entré au royaume de France, il appela Henri de Flandre[1], qui adonc étoit jeune écuyer, et le fit là chevalier ; et lui donna deux cents livres de rente à l’esterîin chacun an, et les lui assigna bien et suffisamment en Angleterre. Depuis vint le roi loger en l’abbaye du mont Saint-Martin[2] ; et là se tint par deux jours ; et toutes ses gens étoient épars sur le pays environ lui, et étoit le duc de Brabant logé en l’abbaye de Vaucelles[3]. Quand le roi de France qui se tenoit à Compiègne entendit ces nouvelles, que le roi anglois approchoit Saint-Quentin et étoit logé sur le royaume, si renforça son mandement partout, et envoya son connétable le comte Raoul d’Eu et de Ghines, à toutes grands gens d’armes, à Saint-Quentin, pour garder la ville et la frontière sur les ennemis ; et envoya le seigneur de Coucy en sa terre, et le seigneur de Ham[4] en la sienne ; et envoya encore grands gens d’armes en Guise et en Ribemont et à Bohaing et ès forteresses voisines, sur l’entrée du royaume, pour les garder des ennemis ; et descendit devers Péronne en Vermandois, à grand’foison de gens d’armes, de ducs, de comtes et de barons avec lui ; et li croissoient toujours gens de tous côtés, et se logeoient sur cette belle rivière de Somme, entre Saint-Quentin et Péronne.


CHAPITRE LXXXVI.


Comment messire Jean de Hainaut et plusieurs autres grands seigneurs cuidèrent prendre Honnecourt ; et comment l’abbé et ceux de la ville s’y portèrent très vaillamment.


Entrementes que le roi anglois se tenoit en l’abbaye du mont Saint-Martin, ses gens couroient tout le pays de là environ jusques à Bapaumes et bien près de Péronne et de Saint-Quentin. Si trouvoient le pays plein et gras, et pourvu de tous biens, car ils n’avoient oncques mais eu point de guerre. Or avint ainsi que messire Henri de Flandre, en sa nouvelle chevalerie, et pour son corps avancer et accroître son honneur, se mit un jour en la compagnie et cueillette de plusieurs chevaliers, desquels messire Jean de Hainaut était chef, et là étoient le sire de Fauquemont, le sire de Berghes, le sire de Baudresen[5], le sire de Kuck et plusieurs autres, tant qu’ils étoient bien cinq cents combattans ; et avoient avisé une ville assez près de là, que on appeloit Honnecourt, où la plus grand’partie du pays étoit, sur la fiance de la forteresse, et y avoient mis tous leurs biens. Et jà y avoient été messire Arnoul de Blakehen et messire Guillaume de Duvort[6] et leurs routes ; mais rien n’y avoient fait : donc, ainsi que par

  1. C’est vraisemblablement Henri II du nom, comte de Lodi, au duché de Milan, seigneur de Nienhove, etc., issu d’une branche cadette des comtes de Flandre de la maison de Dampierre.
  2. Il y était certainement le 13 octobre, suivant la date d’une pièce rapportée par Rymer.
  3. Abbaye d’hommes de l’ordre de Cîteaux, sur la droite de l’Escaut, à deux lieues environ de Cambray.
  4. Il était issu des comtes de Vermandois.
  5. Vraisemblablement, Bautershem.
  6. Peut-être, Duvenvorde. On trouve dans les Troph. du Brab. un Willaume de Duvenvorde, chambellan du comte de Hainaut.