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LIVRE I. — PARTIE I.

emmenèrent bien deux cents de pied passer à planches à Prouvy. Quand cils furent outre, ils vinrent tantôt baudement sur ceux de Trith qui n’étoient qu’un peu de gens dedans, au regard de eux, et ne purent durer : si tournèrent en fuite, et en y eut de morts et de navrés plusieurs.

Ce même jour étoit parti de Valenciennes le sénéchal de Hainaut à cent armures de fer, et issit de la ville par la porte d’Anzaing ; et pensoit bien que ceux de Trith auroient à faire : si les vouloit secourir. Dont il avint que dessus Saint Vast il trouva de rencontre vingt cinq coureurs françois, que trois chevaliers de Poitou menoient : messire Boucicaut l’un, le sire de Surgères l’autre, et messire Guillaume Blondeau le tiers ; et avoient passé l’Escaut assez près de Valenciennes au pont que on dit la Tournelle, et avoient couru par droite bachelerie dessus Saint-Vast. Si très tôt que le sénéchal les perçut, si fut moult lie, car bien connut que c’étoient ses ennemis ; et ferit après eux, et toute sa route aussi. Là eut bon estequis des uns aux autres ; et me semble aussi que le sénéchal de Hainaut porta jus de coup de lance messire Boucicaut, qui adonc étoit moult appert chevalier, et fut plus encore depuis et maréchal de France, si comme vous orrez avant en l’histoire, et le fit là fiancer prison, et l’envoya à Valenciennes. Mais je ne sçais comment ce peut être, car le sire de Surgères échappa et se sauva, et ne fut point pris ; mais messire Guillaume Blondeau fut pris, et fiança prison à messire Henry de Husphalise ; et furent presque tous les autres morts ou pris.

Ce rencontre détria grandement le sénéchal de Hainaut qu’il ne put venir à temps au pont de Trith ; mais l’avoient jà conquis les François quand il y vint, et mettoient grand’peine à abattre les moulins, et un petit châtelet qui là étoit. Mais si très tôt que le sénéchal vint en la ville, ils n’eurent point de loisir, car ils furent reboutés et reculés vilainement, occis et découpés et mis en chasse ; et les fit-on saillir en la rivière d’Escaut, dont il en y eut d’aucuns noyés, et en fut la ville de Trith adonc toute délivrée. Et vint le sénéchal de Hainaut passer l’Escaut à Denain, et puis chevaucha, et toute sa route, vers son châtel de Werchin et se bouta dedans pour le garder et défendre, si mestier étoit. Et encore se tenoit le duc de Normandie sur le mont de Castres, et se tint en bonne ordonnance la plus grand’partie du jour ; car il cuidoit que ceux de Valenciennes dussent vuider et là venir combattre. Aussi l’eussent-ils très volontiers fait ; mais messire Henry d’Antoing, qui la ville avoit à garder, leur dénéoit et défendoit ; et étoit à la porte Cambrésienne moult ensoigné et en grand’peine d’eux détourner de non vuider ; et le prévôt de la ville pour le temps avec lui, Jean de Vassi, qui les affrénoit ce qu’il pouvoit ; et leur montra adonc tant de belles raisons qu’ils s’en souffrirent.


CHAPITRE CXII.


Comment le duc de Normandie se partit de Castres et ardit plusieurs villes entre Cambray et Valenciennes et prit le château d’Escandeuvre.


Quand le duc de Normandie et ses batailles, qui très belles étoient à regarder, ainsi que ci-dessus est devisé, se furent tenus une grand’pièce sur le mont de Castres et ils virent que nul ne viendroit ni istroit hors de Valenciennes pour eux combattre, adonc furent envoyés le duc d’Athènes et les deux maréchaux de France, et le comte d’Aucerre et le sire de Chastillon, à bien trois cents lances de gens bien montés, pour courir jusques à Valenciennes. Cils chevauchèrent en très bonne ordonnance et vinrent au lez devers la tourelle à Goguel, et chevauchèrent moult arréement jusques aux barrières de la ville, mais ils n’y demeurèrent mie planté ; car ils redoutèrent le trait pour leurs chevaux ; et toute fois le sire de Chastillon chevaucha si avant que son cheval fut féru et chey desous lui, et le convint monter sur un autre.

Cette chevauchée prit son tour devers les tentes, et les ardirent, et abattirent tous les moulins qui là étoient sur la rivière de Wincel ; et puis prirent leur tour par derrière les chartreux et revinrent à leur bataille. Or vous dis qu’ils étoient demeurés aucuns compagnons François derrière en la ville des Marlis pour mieux fourrer à leur aise. Dont il avint que ceux qui gardoient une tour qui là est aux hoirs de Hainaut, et fut jadis à messire Robert de Namur, de par madame Isabelle de Hainaut, sa femme, perçurent ces François qui là étoient, et si virent bien que la grosse chevauchée étoit retraite. Si issirent baudement hors, et assaillirent de grand courage, et les menèrent tellement qu’ils en tuèrent bien la moitié et leur ôtèrent tout le