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CHRONIQUES DE J. FROISSART.

car ceux de la garnison contraignoient durement le pays de là environ. Le duc y entendit volontiers, et fit de rechef semondre son ost, et mit ensemble grand’foison de seigneurs et de gens d’armes, qui se tenoient en Artois et en Vermandois, lesquels il avoit eu en sa première chevauchée. Si se partit de Cambray et s’en vint à toutes ses gens loger devant Thun, sur la rivière d’Escaut, en ces beaux plains au lez devers Ostrevant ; et fit le duc là amener et charger six grands engins de Cambray et de Douay, et les fit dresser et asseoir fortement devant la forteresse. Ces engins jetoient nuit et jour pierres et mangonneaux à grand’foison, qui enfondroient et abattoient les combles des tours, des chambres et des salles, et contraignirent par ce dit assaut durement ceux du chàtel ; et n’osoient les compagnons qui le gardoient demeurer en chambre et en salle qu’ils eussent, fors en caves et en celliers. Oncques gens d’armes ne souffrirent pour leur honneur en forteresse autant de peine ni de meschef que cils faisoient. Desquels étoit souverain capitaine un chevalier anglois qui s’appeloît messire Richard de Limosin, et aussi deux écuyers de Hainaut, frères au seigneur de Mauny, Jean et Thierry. Ces trois, dessus tous les autres, en avoient la charge, la peine et le faix, et tenoient les autres compagnons en vertu et en force, et leur disoient : « Beaux seigneurs, le gentil comte de Hainaut viendra un de ces jours à si grand ost contre les François, qu’il nous délivrera à toute honneur de ce péril et nous saura grand gré de ce que si franchement nous serons tenus. » Ainsi reconfortoient les trois dessus dits les compagnons qui n’étoient mie à leur aise ; car pour eux plus grever et plutôt amener à mercy, ceux de l’ost leur jetoient et envoyoient par leurs engins chevaux morts et bêtes mortes et puans pour eux empunaiser ; dont ils étoient là dedans en grand’détresse, car l’air étoit fort et chaud, ainsi qu’en plein été ; et furent contraints par cet état, plus que par autre chose. Finalement ils regardèrent et considérèrent entre eux que cette mésaise ils ne pouvoient longuement souffrir ni porter, tant leur étoit la punaisie abominable. Si eurent conseil et avis de traiter une trêve à durer quinze jours, et là en dedans signifier leur povreté à messire Jean de Hainaut, qui étoit régent et gardien de tout le pays, afin, qu’ils en fussent confortés ; et s’ils ne l’étoient, ils rendroient la forteresse au dit duc de Normandie.

Ce traité fut entamé et mis avant : le duc leur accorda, et mit en souffrance tous assauts, et leur donna trêves quinze jours, qui firent moult de bien aux compagnons du dit fort ; car autrement ils eussent été tous morts et empunaisés sans mercy, tant leur envoyoit-on de charognes pourries et d’autres ordures par les engins. Si firent tantôt partir Ostelart de Somaing pour le traité deviser, qui s’en vint à Mons en Hainaut, et trouva le seigneur de Beaumont qui avoit ouï nouvelles de son neveu le comte de Hainaut, qui revenoit en son pays, et avoit été devers l’empereur et fait grands alliances avec lui, aussi aux seigneurs de l’Empire, le duc de Guerles, le marquis de Juliers, le marquis de Blankebourch et tous les autres. Si informa le sire de Beaumont le dit écuyer Ostelart de Somaing, et lui dit bien que ceux de Thun-l’Évêque seroient bientôt confortés, mais que son neveu fût revenu au pays.


CHAPITRE CXVI.


Comment le comte de Hainaut fit son mandement à tous ses alliés pour aller secourir ceux de Thun-l’Évêque.


La trêve durant qui fut prise entre le duc de Normandie et les soudoyers de Thun, si comme vous avez ouï, revint le comte de Hainaut en son pays, dont toutes manières de gens furent réjouis, car moult l’avoient désiré. Si lui recorda le sire de Beaumont son oncle comment les choses étoient allées depuis son département, et à quelle puissance le duc de Normandie étoit entré et séjourné dans son pays, et ars et détruit tout par de-là Valenciennes, exceptées les forteresses. Si répondit le comte qu’il seroit bien amendé, et que le royaume de France étoit assez grand pour en avoir satisfaction de toutes ces forfaitures ; mais briévement il vouloit aller devant Thun-l’Évêque et conforter ses bonnes gens qui gissoient là si honorablement, et qui si loyalement étoient tenus et défendus.

Si fit le comte son mandement et ses prières en Brabant, en Guerles, en Juliers et en Allemagne, et aussi en Flandre devers son bon ami Artevelle ; et s’en vint le dit comte à Valenciennes, à grand’foison de gens d’armes, chevaliers et écuyers de son pays, et des pays dessus nommés ; et toudis lui croissoient gens.