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LIVRE I. — PARTIE I.

Et se partit de Valenciennes en grand arroy de gens d’armes, de charrois, de tentes, de trefs, de pavillons et de toutes autres pourvéances, et s’en vint loger à Nave sur ces beaux plains et ces beaux prés, tout contre val la rivière d’Escaut. Là étoient les seigneurs de Hainaut avec le dit comte et en bon arroy : premièrement messire Jean de Hainaut son oncle, le sire d’Enghien, le sire de Werchin sénéchal de Hainaut, le sire d’Antong, le sire de Ligne, le sire de Barbençon, le sire de Lens, messire Guillaume de Bailleul, le sire de Haverech, châtelain de Mons, le sire de Montegny, le sire de Marbais, messire Tliierry de Wallecourt, maréchal de Hainaut, le sire de la Hamède, le sire de Gomegnies, le sire de Roisin, le sire de Trasegnies, le sire de Brifeul, le sire de Lalain, le sire de Mastain, le sire de Sars, le sire de Wargni, le sire de Beaurieu et plusieurs autres chevaliers et écuyers, qui tous se logèrent de-lez leur seigneur. Assez tôt après y revint le jeune comte Guillaume de Namur moult étoffément à deux cents lances, et se logea aussi sur la rivière d’Escaut en l’ost du comte ; et après revinrent le duc de Brabant à bien six cents lances, le duc de Guerles, le comte de Mons, le sire de Fauquemont, messire Arnoul de Blakehen et grand’foison d’autres seigneurs et gens d’armes d’Allemagne et de Westphale. Si se logèrent tous, les uns après les autres, sur la rivière d’Escaut, à l’encontre de l’ost françois ; et étoient plantureusement pourvus de tous vivres qui leur venoient tous les jours de Valenciennes et du pays de Hainaut voisin à eux.


CHAPITRE CXVII.


Comment le roi Philippe envoya douze cents lances en l’ost de son fils, et assez tôt après y vint lui-même comme soudoyer.


Quand ces seigneurs se furent logés, ainsi que vous avez entendu, sur la rivière d’Escaut, et mis entre Nave et Ywis, le duc Jean de Normandie qui étoit d’autre part de la rivière, avecques lui moult belle gent d’armes, vit que l’ost du comte de Hainaut croissoit durement. Si signifia tout l’état au roi de France son père, qui se tenoit à Péronne en Vermandois, et étoit tenu plus de six semaines à grands gens. Lors fit le roi de rechef une semonce très espéciale, et envoya jusques à douze cents lances de bonnes gens d’armes en l’ost son fils ; et assez tôt après il y vint comme soudoyer du duc son fils[1] ; car il ne pouvoit nullement venir à main armée sur l’Empire, si il voulait tenir son serment, ainsi qu’il fit[2] ; pourquoi le duc son fils fut toudis chef et souverain de cette entreprise, mais il s’ordonnoit par le conseil du roi son père. Quand ceux de Thun-l’Évêque virent leur seigneur le comte de Hainaut venir si puissamment, si en furent moult joyeux ; et fut bien raison, car moult l’avoient désiré, et bien pensoient à en être délivrés.

Le quatrième jour après qu’ils furent là venus et hôtelés à ost, vinrent ceux de Valenciennes en grand arroy, desquels Jean de Vassy qui prévôt étoit pour le temps, se faisoit maître et gouverneur. Si très tôt que ceux de Valenciennes furent venus, on les envoya escarmoucher aux François sur la rivière de l’Escaut, pour ensonnier ceux de l’ost, et pour faire à ceux de la garnison de Thun voie. Là eut grand’escarmouche des uns aux autres et plusieurs carreaux traits et lancés, et maints hommes navrés et blessés. Entrementes qu’ils entendoient à paleter, les compagnons de Thun-l’Évêque, messire Richard de Limousin et les autres se partirent du châtel[3] et se mirent en l’Escaut ; et leur appareilla-t-on bateaux et nacelles, en quoi on les alla quérir d’autre part le rivage. Si furent amenés en l’ost et devers le comte de Hainaut, qui liement et doucement les reçut et les honora moult du bon service qu’ils lui avoient fait, quand si longuement et à tel meschef ils s’étoient tenus en Thun-l’Évêque.


CHAPITRE CXVIII.


Comment Jaquemart d’Artevelle vint au secours du comte de Hainaut à plus de soixante mille Flamands ; et comment le dit comte envoya ses hérauts demander bataille au duc de Normandie.


Entrementes que ces deux osts étoient ainsi assemblés pour le fait de Thun-l’Évêque, et logés

  1. Il s’était rendu à l’armée plus d’un mois auparavant, selon les autres historiens ; mais Jean-le-Bel était plus à portée qu’eux d’être instruit de ce qui se passait en Cambrésis, surtout quand les événemens intéressaient la maison de Hainaut, à laquelle il était attaché.
  2. On voit qu’on avait dans ce siècle une étrange idée de la manière de tenir un serment : l’extérieur était tout.
  3. La plupart des chroniqueurs ajoutent qu’ils mirent le feu au château avant d’en sortir.