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CHRONIQUES DE J. FROISSART.

avoient été pris. Quand les chevaliers entendirent ces nouvelles, ils furent trop durement courroucés, et firent cesser l’assaut, et se mirent à aller tant qu’ils purent, qui mieux mieux, devers Faouet, pour raconsuir s’ils pussent ceux qui emmenoient ces prisonniers ; mais ils ne se purent tant hâter que le dit Régnier de Maulain ne fût jà rentré en son châtel atout ses prisonniers, avant qu’ils fussent venus là. Quand ils furent là venus, l’un devant, l’autre après, ils commencèrent à assaillir, ainsi travaillés qu’ils étoient ; mais petit y firent adonc ; car le dit Régnier et ses compagnons se défendirent vassalment. Et jà étoit tard, et tous étoient travaillés durement ; si eurent conseil qu’ils se logeroient et reposeroient celle nuit pour assaillir lendemain.


CHAPITRE CLXXXIV.


Comment ceux de Hainebon se partirent de Faouet sans rien faire ; et comment ils prirent Goy-la-Forêt et tuèrent tous ceux qui dedans étoient.


Girard de Maulain sçut, tantôt que ces seigneurs se furent partis de là, le beau fait que son frère Régnier avoit fait pour lui secourir ; si en eut grand’joie. Et sçut que ces seigneurs étoient, pour ce, traits devant Faouet, et le conquerroient s’ils pouvoient. Si se appensa qu’il feroit aussi beau service à son frère, s’il pouvoit, comme son frère lui avoit fait : si monta par nuit sur son cheval, et vint un petit devant le jour à Dignant ; et fit tant qu’il parla tantôt à messire Pierre Portebeuf son bon compagnon, qui étoit capitaine et souverain de Dignant avec lui, si connue vous avez ouï ; et lui conta l’aventure, et pourquoi il étoit là venu. Si eurent conseil que, sitôt que jour seroit, il assembleroit tous les bourgeois de la ville, et leur démontreroit la besogne, et les feroit armer s’il pouvoit pour aller désassiéger le châtel de Faouet.

Quand grand jour fut et tous les bourgeois furent assemblés en la halle de la ville, Girard de Maulain leur démontra la besogne si bellement que les bourgeois et les soudoyers furent d’accord d’eux armer, et de partir tantôt, et d’aller où l’on les voudroit mener ; et firent sonner le ban-cloche, et s’armèrent toutes gens : puis issirent hors, et se mirent en voie tant qu’ils purent pardevers Faouet ; et étoient bien six mille hommes, que uns que autres. Messire Gautier de Mauny et les autres seigneurs le sçurent tantôt par une espie. Si eurent conseil ensemble pour regarder et aviser quelle chose leur seroit bonne à faire ; si que, tout considéré, le bien et le mal, ils s’accordèrent à ce qu’ils se partiroient ainsi qu’ils pourroient pardevers Hainebon, car grand meschef leur pourroit avenir s’ils demeuroient longuement là ; car si ceux de Dignant leur venoient d’une part, et l’ost messire Charles de Blois et des seigneurs de France d’autre part, ils seroient enclos et tous pris et morts, à la volonté de leurs ennemis. Si s’accordèrent à ce que le meilleur point étoit de laisser leurs compagnons en prison que tout perdre, jusques adonc qu’ils le pourroient amender. Lors se partirent de là et se mirent à voie pour revenir à Hainebon. Ainsi qu’ils revenoient vers Hainebon, ils vinrent passant pardevant un châtel que on appeloit Goy-la-Forêt, qui quinze jours devant étoit rendu à messire Charles de Blois ; et l’avoit le dit messire Charles livré à garder à messire Hervey de Léon et à messire Guy de Goy, qui paravant le tenoit ; lesquels deux chevaliers n’étoient point laiens quand ces seigneurs bretons et anglois vinrent là passant, mais étoient en l’ost messire Charles, avec les seigneurs de France devant la ville de Craais qu’ils avoient assiégée. Quand messire Gautier de Mauny vit le château de Goy-la-Forêt qui étoit merveilleusement fort, il dit à ces seigneurs et chevaliers de Bretagne qui étoient avec lui qu’il n’iroit plus avant et ne se partiroit de là, comme travaillé qu’il fût, si auroit assailli ce fort châtel, et vu le convenant de ceux de dedans. Si commanda tantôt aux archers que chacun le suist, et à ses compagnons aussi ; puis prit sa targe à son col et monta contre mont jusques aux barrières et aux fossés du châtel ; et tous les autres Bretons et Anglois le suirent. Lors commencèrent fort à assaillir, et ceux de dedans fortement à eux défendre, combien qu’ils n’eussent pas leur capitaine. Là eut très fort assaut et grand’foison de bien faisans dedans et dehors ; et dura jusques à basses vespres ; et ce bon chevalier, messire Gautier de Mauny, semonnoit fortement les assaillans, et se mettoit toujours au devant des autres au plus grand péril ; et les archers traioient si ouniement que ceux du châtel ne s’osoient montrer, si petit non.