Page:Froissart - Les Chroniques de Sire Jean Froissart, revues par Buchon, Tome I, 1835.djvu/275

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
[1345]
207
LIVRE I. — PARTIE I.

de tendre à l’héritage de Flandre, que ils le dussent tollir au comte Louis de Flandre leur naturel seigneur, combien qu’il fût François, ni à son fils son droit hoir, pour lui en hériter, ni son fils le prince de Galles ; car ceux de Flandre ne s’y consentiroient jamais. « Mais, cher sire, vous avez de beaux enfans, fils et filles : le prince votre ains-né fils ne peut faillir qu’il ne soit encore grand sire durement sans l’héritage de Flandre, et vous avez une fille puis-née, et nous avons un jeune damoisel que nous nourrissons et gardons, qui est héritier de Flandre : si se pourroit bien encore faire un mariage d’eux deux. Ainsi demeureroit toujours la comté de Flandre à l’un de vos enfans. » Ces paroles et autres ramollirent et adoucirent grandement le courage et le mautalent du roi d’Angleterre ; et se tint finablement assez bien content des Flamands et les Flamands de lui. Ainsi fut entr’oubliée petit à petit la mort Jacques d’Artevelle.

Si laisserons à parler du roi d’Angleterre et des Flamands, et parlerons du comte Guillaume de Hainaut et de messire Jean de Hainaut son oncle.


CHAPITRE CCL.


Comment le comte de Hainaut fut occis en Frise et sa gent déconfite ; et comment messire Jean de Hainaut renonça au roi d’Angleterre et devint François.


En ce temps et en celle même saison ci-dessus dite, séoit le comte Guillaume de Hainaut, fils au comte Guillaume qui mourut à Valenciennes, devant la ville d’Utret ; et sist un grand temps, pour aucuns droits qu’il y demandoit à avoir : et contraignit tellement par siége et par assault ceux d’Utret qu’il les eut à sa volonté et les mit à raison. Assez tôt après, et en celle même saison, environ la Saint-Remy, au département du siége d’Utret, il fit une grand’cueillette et assemblée de gens d’armes, chevaliers et écuyers, de Hainaut, de Flandre, de Brabant, de Hollande, de Guerles et de Julliers. Si se partirent le comte et ses gens d’armes de la ville de Dourdrech en Hollande, à grand’foison de naves et de vaisseaux, et singlèrent devers Frise, car le comte de Hainaut s’en disoit être seigneur. Toutes voies, de droit, si ce fussent gens que les Frisons que on pût mettre à raison, le comte de Hainaut y a grand’seigneurie ; et encore le dessus dit comte, qui fut moult entreprenant et hardi chevalier durement, en fit adonc une partie de son pouvoir du calenger et requerre ; mais il ne lui en chéy mie bien, ni à ceux qui furent en ce voyage avec lui ; dont ce fut dommage, car il y demeura, et grand’foison de bons chevaliers et écuyers. Dieu en ait les âmes ! Et y fut près demeuré messire Jean de Hainaut, oncle du dit comte ; et se partit trop envis du lieu où il étoit arrivé ; car il n’arriva mie au pays avec son neveu ; mais d’autre part. Et ainsi comme tout forcené, il se vouloit aller combattre et vendre aux Frisons, quand ses gens le prirent, qui virent la déconfiture, et le jetèrent, voulût ou non, en une nef ; et espécialement messire Robert de Glimes, qui adonc étoit écuyer pour son corps, fort et léger ; et fut le dit Robert presque mort et noyé pour le sauver. Toute fois il retourna à petite menée tout desbareté, et s’en vint au Mont-Sainte-Gertrude en Hollande, où madame sa nièce l’attendoit, femme qui fut au dessus dit comte, et l’appeloit-on madame Jeanne ains-née fille au duc Jean de Brabant ; laquelle dame fut moult désolée et déconfortée de la mort de son mari : ce fut bien raison. Si se traist la dite dame en la terre de Binch dont elle étoit douée. Ainsi vaqua la comté de Hainaut un temps, et la gouverna messire Jean de Hainaut, jusques à tant que madame Marguerite de Hainaut[1], mère à monseigneur le duc Aubert, se traist cette part et en prit la possession et l’héritage ; et lui en firent les seigneurs, barons, prélats, chevaliers et bonnes villes, féauté et hommage.

Cette Marguerite comtesse de Hainaut avoit à mari messire Louis de Bavière, empereur de Rome et roi d’Allemagne, si comme il est devisé au commencement de ce livre. Assez tôt après traita le roi Philippe de France, et fit traiter par le comte de Blois envers messire Jean de Hainaut, qu’il voulût être François, et il lui transporteroit la revenue qu’il avoit en Angleterre, en France, et lui assigneroit si suffisamment comme il plairoit à son conseil. Le dit messire Jean de Hainaut à ce traité ne s’accorda mie légèrement, car il avoit la fleur de sa jeu-

  1. Marguerite de Hainaut était sœur unique de Guillaume II, comte de Hainaut, tué en Frise.