Page:Froissart - Les Chroniques de Sire Jean Froissart, revues par Buchon, Tome I, 1835.djvu/287

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
[1346]
219
LIVRE I. — PARTIE I.

en Normandie, il fit hâter son connétable le comte de Ghines, et le comte de Tancarville, qui nouvellement étoient venus d’Aiguillon, et leur dit que ils se traissent devers Caen et se tinssent là, et gardassent la ville et les marches contre les Anglois. Cils répondirent volontiers, et qu’ils en feroient leur pouvoir. Si se partirent du roi et de Paris à grand’foison de gens d’armes ; et toujours leur en venoit ; et chevauchèrent tant qu’ils vinrent en la bonne ville de Caen, où ils furent reçus à grand’joie des bourgeois et des bonnes gens d’environ, qui s’y étoient retraits. Si entendirent les dessus dits seigneurs aux ordonnances de la ville, qui pour le temps n’étoit point fermée, et aussi à faire armer et appareiller et pourvoir d’armures chacun selon son état. Or reviendrons au roi d’Angleterre qui étoit arrivé en la Hogue-Saint-Vast, assez près de Saint-Sauveur-le-Vicomte, l’héritage de messire Godefroy de Harecourt.


CHAPITRE CCLXVI.


Comment le roi d’Angleterre chéy à terre en issant de son vaissel, lequel dit que c’étoit bon signe.


Quand la navie du roi d’Angleterre eut pris terre en la Hogue[1], et elle fut là toute arrêtée et ancrée sur le sablon, le dit roi issit de son vaissel, et du premier pied qu’il mit à terre, il chéy si roidement que le sang lui vola hors du nez. Adonc le prirent ses chevaliers qui de-lez lui étoient, et lui dirent : « Cher sire, retraiez-vous en votre nef et ne venez mais-hui à terre, car veci un petit signe pour vous. » Dont répondit le roi tout pourvument et sans délai : « Pourquoi ? Mais est un très bon signe pour

  1. Michel de Northburgh, clerc, conseiller d’Édouard qu’il accompagnait dans cette expédition, rend compte dans une lettre des opérations de l’armée anglaise depuis son débarquement à La Hogue jusqu’à son arrivée devant Caen. Nous croyons devoir rapporter ici le fragment de cette lettre que nous a conservé Robert d’Avesbury, afin qu’on puisse comparer le récit de Northbury avec celui de Froissart.

    « Fait à remembrer qe notre seigneur le roi et son ost pristrent terre à Hogges de Seint-Vaal le XII jour de juyl, et pour deskiper ses chivaux et reposer lui et ses gentz et fourner payn, demurra illeosque tanqe al masdy1 proschein suaunt, et trova à les Hogges XI niefs des queux VIII avoient chastiel devaunt et derere, les queux homme fist ardre. Et le vendredy2, taunt comme le roi demurra, ascuns gentz alèrent à Barflet et quidoient aver trové plusours gentz et trovèrent nulles à regard et trovèrent illesqes IX niefs ove chastiels devaunt et derere, li bones craiers et aultres meindres vesseaux les queux fusrent auxint arz ; et fust la ville auxi boue et auxi graunde come la ville de Sandwyche. Et après qe les ditz gentz fusrent alez, les marineres ardirent la ville ; et sont arz plusours des bones villes et manoirs en la païs environ. Et le mardy3 qe le roy remua il ala à Valoignes et geust illeosques tout la nuiyt et trova des vitailles assetz. Et lendemayn remua un graunt journey tanqe à Pont d’Ove, quelle ceaux de la ville de Carentane debrusèrent. Et le roi le fist refaire mesme la nuyt, et passa lendemayn tanqe al dite ville de Carentane qe n’est fors qe entour une lieug Engleis del dit pount, la quelle ville est auxi grosse come Leycestre, où ils trovèrent vynes et vitailles graunt foison, et fust mult de la ville arz, pour riens qe le roi pourroit faire. Et le vendredy le roi ala et geust en villes campestres sour une ryver4 qe fust mal à passer. Et ceaux de la ville de Seint Lee debrusèrent le pount. Et le roy le fist refeare et passa lendemayn5 luy et soun ost et se herberga joynant à la ville. Et avoient tutz de la ville comencé d’afforcer la dite ville et attret à eaux mult des gentz d’armes d’avoir tenu de mesme la ville6 ; et s’en alèrent avaunt la venue de roy. Et trovèrent en la dite ville bien mil tonels de vyn et des aultres biens graunt foisoun ; et est la ville pluis grosse qe n’est Nichole. Et lendemayn le roy prist soun chemyn et geust à une Abbey et soun osl as villes campestres entour luy ; et chivachèrent les gentz de l’ost robbantz et destruyantz V ou VI leges enviroun toutz les jours et arderent en plusours lieux. Et la lundy le roy remua et se herberga à villes campestres et le marsdy auxint. Et le mesqerdy7 par temps vient devaunt la ville de Caame à houre de None, et avoit novelx qe graunt foisoun des gentz d’armez fusrent deintz la ville. Et le roy fist arraier ses batailles beals et grosses et maunda ascuns gentz à la ville de les veer et troverent le chastiel beal et fort ; et leinz fust l’Évesqe de BaIous, chivalers et gentz d’armes qui le teignent. En cele partie de la eawe est la ville mult biele et mult grosse et al un bout de la ville est une Abbey8 si noble come il peot estre, où William le conqueror gist ; et est fermé des murs et tours bataillés grauntz et fortz, en quelle Abbey nulle homme n’estoit. Et à l’autre bout de la ville un aultre noble Abbey des dames9 ; et nul homme ne fust demurraunt as ditz Abeies ne en la ville de cele part de l’eawe forsqe en le chastiel. Et les gentz de la ville fusrent trahez en la ville de l’autre part de l’eawe, où îe constable de Fraunce estoit et le chamberlayn de Tankerville q’est un mult graunt seigneur et plusours gentz, à la mountance de cinq ou six cents, et la comune de la ville. Et noz gentz de