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CHRONIQUES DE J. FROISSART.

moult d’autres que je ne puis mie tous nommer[1].

Peu d’étrangers y avoit : si y étoit de la comté de Hainaut messire Oulphart de Ghistelle, et cinq ou six chevaliers d’Allemaigne, que je ne sais mie nommer.

Si singlèrent ce premier jour à l’ordonnance de Dieu, du vent et des mariniers, et eurent assez bon exploit pour aller devers Gascogne, où le roi tendoit à aller. Au tiers jour qu’ils se furent mis sur mer, le vent leur fut contraire et les rebouta sur les marches de Cornouaille ; si geurent là à l’ancre six jours. En ce termine eut le roi autre conseil, par l’ennort et information de messire Godefroy de Harecourt, qui lui conseilla pour le mieux, et faire plus grand exploit, qu’il prit terre en Normandie. Et dit bien adonc au roi le dit messire Godefroy : « Sire, le pays de Normandie est l’un des plus gras du monde ; et vous promets, sur l’abandon de ma tête, que si vous arrivez là, vous y prendrez terre à votre volonté : ni jà nul ne vous viendra au devant qui rien vous dure ; car ce sont gens en Normandie qui oncques ne furent armés, et toute la fleur de la chevalerie qui y peut être git maintenant devant Aiguillon avec le duc ; et trouverez en Normandie grosses villes et bastides[2] qui point ne sont fermées, où vos gens auront si grand profit qu’ils en vaudront mieux vingt ans après ; et vous pourra votre navie suivir jusques bien près de Caen en Normandie. Si vous prie que je sois cru et ouï de ce voyage. Et pour certain vous et nous tous en vaudrons mieux ; car nous y trouverons or, argent, vivres et tous autres biens à grand’plenté. »


CHAPITRE CCLXV.


Comment le roi d’Angleterre arriva en Normandie ; et comment le roi de France y envoya le comte de Ghines son connétable et le comte de Tancarville pour garder le pays.


Le roi d’Angleterre, qui étoit alors en la fleur de sa jeunesse, et qui ne désiroit fors à trouver les armes et ses ennemis, s’inclina de grand’volonté aux paroles de messire Godefroy de Harecourt, qu’il appeloit son cousin. Si commanda à ses mariniers qu’ils tournassent vers Normandie ; et il même prit l’enseigne de l’amiral le comte de Warvich, et voulut lui-même être amiral pour ce voyage ; et se mit tout devant, comme patron et gouverneur de toute la navie ; et singlèrent au vent qu’ils avoient à volonté. Si arriva la navie du roi d’Angleterre en l’île de Cotentin sur un certain port que on appelle la Hogue-Saint-Vast[3]. Ces nouvelles s’espartirent sur le pays, que les Anglois avoient là pris terre ; et vinrent messagers accourans jusques à Paris, devers le roi de France, envoyés de par les villes de Cotentin. Bien avoit ouï recorder le roi de France en celle saison, que le roi d’Angleterre mettoit sus une grand’armée de gens d’armes, et l’avoit-on vu sur la mer, des bandes de Normandie et Bretagne : mais on ne savoit encore quel part ils vouloient traire. Donc, sitôt que le roi entendit que les Anglois avoient pris terre

  1. Barnès, dans Sa vie d’Édouard III, donne une liste de ces noms, et assure qu’à partir de lord Ughtred les vingt-deux derniers sont tirés d’un ancien manuscrit de la bibliothèque de Cambridge intitulé Acta Edwardi filii Edwardi tertii. Voici ces noms qui serviront à rectifier l’orthographe de ceux donnés par Froissart.

    Comtes : Humphry Bohun, comte d’Hereford et d’Essex ; William Bohun son frère, comte de Northampton ; Thomas Beauchamp, comte de Warwick ; Richard Fitz Alan, comte d’Arundel ; John Vere, comte d’Oxford, William Clinton ; comte de Huntingdon ; Robert Hufford comte de Suffolk.

    Barons : le jeune lord Roger Mortimer, lord Gérard Lisle et son parent lord John Lisle, lord Reginald Cobham, les lords John et Roger Beauchamp, lord John Mowbray, lord William Roos de Hamlake, lord Thomas Lucy de Cockermouth, lord William Felton, lord Thomas Bradestan, lord Ralph Basset de Sapcoat, John lord Willoughby d’Eresby, lord Pierre Manly, cinquième du nom, lord Ughtred, John lord Fitz Walter, William lord Kerdeston, lord Roger Say, lord Amaury de Saint-Amand, lord Robert Bourchier, lord John le Strange, lord Édouard Montagu, lord Richard Talbot, lord John Mobun de Dunster, William lord Boteler de Evemme, Robert lord Ferrers, John lord Seymour, John lord Grey, William lord Botreaux, lord Hugh Spenser, lord John Striveling, Michel lord Poynings, Robert lord Moiley, Thomas lord Ashley, John Sutton, lord Nicolas Cantilupe.

    Chevaliers : sir John Chandos, lord Pierre Audley, lord James Audley, lord Barthélemy Burgherst le jeune, lord Thomas Rolland, lord Fulk Fitz Warren, sir Richard Pembridge.

  2. Ce mot, qui exprime communément une place fortifiée, parait devoir signifier ici des fermes ou des métairies ; il a encore cette signification dans quelques-unes de nos provinces méridionales.
  3. Suivant Robert d’Avesbury et les Chroniques de France, le roi d’Angleterre arriva à La Hogue le mercredi 12 juillet. Quant à la dénomination d’Île que Froissart, ainsi que la plupart de nos anciens écrivains, donnent au Cotentin, personne n’ignore qu’elle est impropre, et que ce canton tient à la Normandie par un isthme qui a plusieurs lieues de largeur.