Page:Froissart - Les Chroniques de Sire Jean Froissart, revues par Buchon, Tome I, 1835.djvu/324

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
256
[1346]
CHRONIQUES DE J. FROISSART.

rent tous appareillés d’aller avec Jean de Copelant et lui faire compagnie ; et emmenèrent le roi d’Escosse jusques en la cité dessus dite. Si le présenta de par le roi d’Angleterre le dit Jean à madame la roine, qui paravant en avoit été moult courroucée sur Jean : mais la paix en fut lors faite, quand elle vit le roi d’Escosse son prisonnier, avec ce que Jean s’excusa si sagement que la roine se tint pour bien contente. Depuis cette avenue, et que la roine d’Angleterre eut entendu à pourvoir bien et grossement la cité de Bervich, le châtel de Rosebourc, la cité de Durem, la ville de Neuf-Chàtel sur Thin, et toutes les garnisons sur les marches d’Escosse, et laissé au pays de Northonbrelande le seigneur de Percy et le seigneur de Neufville, comme gardiens et souverains, pour entendre à toutes besognes, elle se partit de Bervich, et s’en retourna arrière vers Londres, et emmena avec li le roi d’Escosse son prisonnier, le comte de Moret, et tous les hauts barons qui à la bataille avoient été pris. Si fit tant la dite dame par ses journées, qu’elle vint à Londres, où elle fut reçue à grand’joie, et tous ceux qui avec li étoient, qui à la bataille dessus dite avoient été. Madame d’Angleterre, par le bon conseil de ses hommes, fit mettre au fort châtel de Londres le roi d’Escosse, le comte de Moret et les autres, et ordonna bonnes gardes sur eux, et puis entendit à ordonner ses besognes, ainsi que celle qui vouloit passer la mer, et venir devant Calais, pour voir le roi son mari et le prince son fils que moult désiroit à voir ; et se hâta le plus qu’elle put ; et passa la mer à Douvres ; et eut si bon vent, Dieu mercy, qu’elle fut tantôt outre. Si fut reçue la roine, ce peut-on bien croire, à grand’joie, et logée tantôt moult honorablement, et toutes ses dames et ses damoiselles aussi largement comme si elles fussent à Londres : ce fut trois jours devant la Toussaint[1] ; de quoi le roi d’Angleterre, pour l’amour de la roine, tint cour le dit jour de Toussaint et donna à dîner à tous seigneurs qui là étoient et à toutes dames principalement ; car la roine d’Angleterre en avoit amené avec elle grand’foison, tant pour soi accompagner, comme pour venir voir pères, frères et amis, qui se tenoient au siége de Calais.


CHAPITRE CCCIX.


Comment le siége durant devant Calais, il y eut maintes belles escarmouches par mer et par terre d’un côté et d’autre.


Le siége se tint longuement devant Calais, et y avinrent moult de grandes aventures et de belles prouesses, d’un côté et d’autre, par terre et par mer, lesquelles je ne pourrois mie nommer, ni la quatrième partie écrire ni recorder ; car le roi de France avoit fait établir si bonnes gens d’armes et tant, par les forteresses qui sont et étoient pour ce temps ès marches des comtés de Ghines, d’Artois et de Boulogne, et autour de Calais, et tant de Gennevois et de Normands et d’autres mariniers sur mer, que les Anglois qui vouloient issir hors, à cheval ou à pied, pour aller fourrer ou aventurer, ne l’avoient mie d’avantage, mais trouvoient souvent des rencontres dures et fortes. Et aussi y avoit souvent plusieurs paletis et escarmouches entour les portes et sur les fossés, dont point ne se partoient sans morts et sans navrés. Un jour perdoient les uns, l’autre jour perdoient les autres, ainsi que on voit souvent avenir en telles besognes. Aussi le roi d’Angleterre et son conseil étudioient nuit et jour à faire engins et instrumens pour ceux de Calais mieux appresser et contraindre ; et ceux de la ville de Calais contrepensoient le contraire et faisoient tant à l’encontre, que ces engins et instrumens ne leur portoient nul dommage. Ni rien ne les grévoit ; ni pouvoit tant gréver que l’affamer ; mais nulles pourvéances ne leur pouvoient venir fors en larcin, et par deux mariniers qui étoient maîtres et conduiseurs de tous les autres, lesquels on nommoit, l’un Marant et l’autre Mestriel ; et étoient demeurans à Abbeville. Par ces deux mariniers étoient ceux de Calais confortés souvent en larcin, et par eux hardiment aventurer ; et s’en mirent par plusieurs fois en grand péril ; et en furent moult de fois chassés et presque pris et attrapés entre Boulogne et Calais, mais toujours échappoient eux : et firent maints Anglois mourir et noyer, ce siége durant devant Calais.

  1. La bataille de Durham s’étant donnée le 17 octobre, il n’est guère possible que la reine d’Angleterre soit arrivée sitôt devant Calais. Comment supposer en effet que, dans un si court intervalle, elle eût pu écrire à Copland, avoir sa réponse, attendre qu’il fût revenu de France, mettre ordre à tout et passer elle-même la mer. Peut-être, au lieu de la fête de la Toussaint, faudrait-il lire la fête de Noël.