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LIVRE I. — PARTIE II.

part monseigneur Jean de Beauchamp, le vicomte de Beauchamp, monseigneur James d’Audelée, monseigneur Jean Chandos, monseigneur Bietremieu de Brues, monseigneur Jean de Lille, monseigneur Guillaume Fitz-Varen, le seigneur de Fitz-Vatier, monseigneur Raoul de Hastingues, monseigneur Raoul de Ferrieres, monseigneur Frank de Falle et bien quarante chevaliers ; et leur dit que il les convenoit aller à Bordeaux ; et leur donna certaines enseignes pour parler au seigneur de Labreth, au seigneur de Mucident, au seigneur de l’Esparre et aux trois seigneurs de Pommiers, ses bons amis, en eux priant de par lui que ils se voulussent près prendre de conforter la ville de Saint-Jean par quoi elle fut rafraîchie.

Cils barons et chevaliers dessus nommés furent tout réjouis quand le roi les vouloit employer. Si s’ordonnèrent du plus tôt qu’ils purent et vinrent à Hantonne, et là trouvèrent vaisseaux et pourvéances toutes appareillées : si entrèrent ens ; et pouvoient être environ trois cents hommes d’armes et six cents archers. Si singlèrent tant par mer, que ils ancrèrent au hâvre de Bordeaux. Si issirent de leurs vaisseaux sur le kay, et furent grandement bien reçus et recueillis des bourgeois de la cité et des chevaliers gascons qui là étoient et qui attendoient ce secours venu d’Angleterre. Le sire de Labreth et le sire de Mucident n’y étoient point pour le jour, mais sitôt qu’il sçurent la flotte des Anglois venue, ils se trairent celle part. Si se conjouirent grandement quand ils se trouvèrent tous ensemble ; et firent leurs ordonnances au plus tôt qu’ils purent, et passèrent la Garonne et s’en vinrent à Blayes. Si firent charger soixante sommiers de vitaille pour rafraîchir ceux de Saint-Jean, et puis se mirent au chemin celle part ; et étoient cinq cents lances et quinze cents archers et trois mille brigans[1] à pied. Si exploitèrent tant par leurs journées que ils vinrent à une journée près de la rivière de Charente.

Or vous dirai des François et comment ils s’étoient ordonnés. Bien avoient-ils entendu que les Anglois étoient à Bordeaux et faisoient là leur amas pour venir lever le siége et rafraîchir la ville de Saint-Jean. Si avoient ordonné les maréchaux, que messire Jean de Saintré, messire Guichard d’Angle, messire Boucicaut, messire Guy de Nelle, le sire de Pont, le sires de Parthenay, le sire de Poiane, le sire de Tonnai-Bouton, le sire de Surgères, le sire de Crusance, le sire de Linières, et grand’foison de barons et de chevaliers, jusques à cinq cents lances, toutes bonnes gens à l’élite, s’en venissent garder le pont sur la rivière de la Charente par où les Anglois devoient passer. Si étoient là venus les dessus dits et logés tout contre val la rivière. Et avoient pris le pont les Anglois ; et les Gascons qui chevauchoient celle part ne savoient rien de cela, car si ils le sçussent, ils eussent ouvré par autre ordonnance ; mais étoient tous confortés de passer la rivière au pont dessous le châtel de Taillebourch. Si s’en vinrent une matinée par bonne ordonnance, leur vitaille toute arroutée par devant eux, et chevauchèrent tant que ils vinrent assez près du pont ; et envoyèrent leurs coureurs courir devers le pont. Si rapportèrent cils qui envoyés y furent, à leurs seigneurs, que les François étoient tout rangés et ordonnés au pont, et le gardoient tellement qu’on ne le pouvoit passer. Si furent les Anglois et les Gascons tout émerveillés de ces nouvelles, et s’arrêtèrent tout coi sur les champs, et se conseillèrent un grand temps pour savoir comment ils se maintiendroient. Si regardèrent, tout considéré, que nullement ils ne pouvoient passer, et que cent hommes d’armes feroient plus maintenant pour garder le pont, que cinq cents ne feroient pour assaillir. Si que, tout considéré et pesé le bien contre le mal, ils regardèrent que mieux leur valoit retourner et ramener arrière leurs pourvéances que aller plus avant et mettre en nul danger. Si se tinrent tous à ce conseil ; et firent retourner leurs pourvéances et leurs sommiers, et se mirent au retourner. Cils barons de France et de Poitou qui étoient au pont et qui le gardoient, entendirent que les Anglois se mettoient au retour, et leur fut dit qu’ils s’enfuyoient. De ces nouvelles furent-ils tous réjouis ; et furent tantôt conseillés que ils les suivroient et combattroient, car ils étoient gens forts assez pour combattre. Si furent tantôt montés sur leurs coursiers et chevaux, car ils les avoient de-lez eux, et se mirent outre la rivière au froi des Anglois, en disant : « Vous n’en irez mie ainsi entre vous, seigneurs d’Angleterre ; il vous faut payer votre écot. » Quand les Anglois se virent ainsi si fort poursuivis des François, si s’arrête-

  1. Soldats à pied armés à la légère.