Page:Froissart - Les Chroniques de Sire Jean Froissart, revues par Buchon, Tome I, 1835.djvu/368

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
300
[1352]
CHRONIQUES DE J. FROISSART.

chacun chevalier de la dite compagnie porter une étoile d’or ou argent doré, ou de perles sur son dernier vêtement, pour reconnaissance de la compagnie. Et eut adonc en convent le roi Jean aux compagnons de faire une belle maison et grande à son coût et à son frais de-lez Saint-Denis[1], là où tous les compagnons et confrères devoient repairer à toutes les fêtes solennelles de l’an, cils qui seroient ens le pays, si ils n’avoient trop grand ensoigne qui les excusât, ou à tout le moins chacun une fois l’an. Et devoit être appelée la Noble Maison de l’Étoile ; et y devoit le roi, au moins une fois l’an, tenir cour plénière de tous les compagnons[2] ; et à cette cour devoit chacun des compagnons raconter toutes les aventures, sur son serment, qui avenues lui étoient en l’an, aussi bien les honteuses comme les honorables. Et le roi devoit établir deux clercs ou trois sur ses coûts, qui toutes ces aventures devoient mettre en escrit, et faire de ces aventures un livre, afin que ces aventures ne fussent mie oubliées, mais rapportées tous les ans en place par devant les

    prince. Et seront tenuz de venir touz les ans à la Noble Maison, assise entre Paris et Saint-Denis en France, à la veille de la feste Nostre Dame demi-aoust dedens prime, et y demourer tout le jour, et lendemain jour de la feste jusques après vespres, et se bonnement n’y peuvent venir, il en seront creu par leur simple parole. Et en touz les liex où il se trouveront cinq ensemble ou plus à la veille et au jour de la dite mi-aoust, et que bonnement il n’auront peu venir à ce jour, au lieu de la Noble Maison, il porteront les dites robes et orront vespres et messe ensemble, se il pevent bonnement.

    Et pourront les diz cinq chevaliers, se il leur plaist, lever une bannière vermeille, semée des estoilles ordenées, et une image de Nostre Dame blanche, especialement sur les ennemis de la foy, ou pour la guerre de leur droiturier seigneur.

    Et au jour de leur trespassement, il envoiront à la noble maison, se il pevent bonnement, leur annel et leur fremail, les meilleurs que il auront faitz pour la dite compaignie, pour en ordener au proufit de leurs ames, et à l’onneur de l’église de la noble maison, en laquelle sera fait leur service solemnelment. Et sera tenuz chascun de faire dire une messe pour le trespassé, au plus tost que il pourront bonnement, depuis que il l’auront sceu.

    Et est ordenné que les armes et timbres de touz les seigneurs et chevaliers de la noble maison, seront paints en la salle d’icelle, au dessus d’un chacun là où il sera.

    Et se il y a aucun qui honteusement, que Diex, ne Nostre-Dame ne veille, se parte de bataille, ou de besoigne ordenée, il sera souspeindus de la compagnie, et ne pourra porter tel habit, et li tournera l’en en la noble maison ses armes et son timbre ce dessus dessous sans deffacier, jusques à tant qu’il sait restituez par le prince et son conseil, et tenuz pour relevez par son bienfait.

    Et est encore ordené que en la noble maison, aura une table appellée la table d’oneur, en laquelle seront assiz la veille et le jour de la première feste, les trois plus souffisanz princes, trois plus suffisanz baunerez et trois plus suffisanz bachelers qui seront à la dite feste, de ceuls qui seront receus en la dite compaignie : et en chascune ville et feste de la mi-aoust, chacun an après en suivant, seront assis à la dite table d’oneur les trois princes, trois bannerez et trois bachelers, qui l’année auront plus fait en armes de guerre, car nul fait d’armes de pais n’y sera mis en compte.

    Et est encore ordené que nuls de ceuls de la dite compaignie ne devra emprendre à aller en aucun voyage lointain, sanz le dire ou faire savoir au prince, lesqueix chevaliers seront en nombre cinq cents, et desquiex, nous, comme inventeur et fondeur d’icelle compaignie, serons prince, et ainsi l’en devront estre noz successeurs roys. Et vous avons eslu à estre du nombre de la dite compaignie, et pensons à faire, se Diex plest, la première feste et entrée de la dite compaignie à Saint-Ouïn, la veille et le jour de l’Apparition prouchene. Si soyez aus dits jours et lieu, se vous povez bonnement, à tout vostre habit, annel et fremail. Et adoncques sera à vous et aus autres plus à plaïn parlé sur ceste matière.

    Et est encores ordené que chascun apporte ses armes et son timbre pains, en un feuillet de papier, ou de parchemin, afin que les paintres les puissent mettre plus tost et plus proprement là où il devront estre mis en la Noble Maison. Donné à Saint-Cristophle en Halate le sixième jour de novembre, l’an de grâce mil trois cent cinquante un. Signé au bas, Seriz.

  1. Le chef-lieu de cet ordre fut établi à Saint-Ouen, que le roi Jean appelait la Noble Maison.
  2. Ducange rapporte au mot Stella dans son Glossaire un compte d’Étienne La Fontaine, argentier du roi, à l’occasion de la première cour plénière qui fut tenue le jour des Rois de l’année 1352, deux mois après la date de la circulaire : cette pièce nous a de plus conservé les noms des princes et de quelques autres de ceux qui furent compris dans la première promotion, ce sont : — Le roi Jean, chef de l’ordre, — Le dauphin, son fils. — Louis, duc d’Anjou, son frère. — Jean, duc de Berry, id. — Philippe-le-Hardi, id. — Philippe, duc d’Orléans, frère du roi. — Louis de Bourbon. — Charles, comte d’Artois. — Philippe de Navarre. — Louis de Navarre. — Le vieux dauphin Humbert II, dauphin de Viennois, qui, après avoir cédé ses états à Philippe de Valois en 1349, était devenu patriarche d’Alexandrie et non de Jérusalem, comme il est dit dans cette pièce. — Le sire de Saint-Venant. — Jean de Châtillon grand maître-d’hôtel du roi. — Messire d’Andresel, chambellan du roi. — Le sire Jean de Clermont, chambellan du roi et maréchal de France. — Et les quatre chambellans du dauphin.

    M. Dacier, dans son Mémoire, y ajoute les noms suivans : Charles d’Espagne connétable de France. — Jean II, vicomte de Melun, comte de Tancarville. — Jacques Bozzuto, de la première maison d’Anjou-Sicile. — Le sire de Bavelinghen, capitaine du château de Guines. — Geoffroy de Chargny, gouverneur de Saint-Omer.

    Les suites de la captivité du roi Jean amenèrent la presque dissolution de cette institution qui s’éteignit peu à peu et finit par disparaître sous les règnes suivans.