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CHRONIQUES DE J. FROISSART.

entendu et retenu du roi d’Angleterre. Si eurent les François sur cet avis, et virent bien que pour celle saison ils ne se combattroient point aux Anglois. Si donna le roi de France à toutes manières de gens d’armes congé, et de communautés aussi. Si s’en retournèrent chacun en leurs lieux. Il même s’en retourna en France ; mais à son département il laissa ens ès garnisons de Picardie grand’foison de bonnes gens d’armes, et demeura messire Arnoul d’Andrehen en la bastide d’Ardre pour garder les frontières.

Si retourna messire Jean de Hainaut quand il eut pris congé au roi de France. Ce fut la darraine chevauchée où le gentil chevalier fut, car le carême ensuivant, droitement la nuit S. Grigore[1], il trépassa de ce siècle en l’hôtel de Beaumont en Hainaut, et fut ensepveli en l’église des Cordeliers en la ville de Valenciennes. Là git-il moult révéremment. Si furent héritiers de toute sa terre les enfans du comte de Bois qui demeura à Crécy, car ile étoient enfans de sa fille, et furent Louis, Jean et Guy.


CHAPITRE XVIII.


Comment le roi Édouard fit une chevauchée en Escosse, reconquit la bonne ville de Bervich et toute Escosse et puis se mit au retour en Angleterre.


Nous parlerons du roi d’Angleterre qui n’avoit mie mis en oubli le voyage d’Escosse, et conterons comment il persévéra. Il se partit adonc de Calais à tous ses gens d’armes et archers, et entra en ses vaisseaux et prit le chemin de Douvres. À son departement, il institua le comte de Sallebrin, à cent hommes d’armes et deux cent archers, à demeurer en la ville de Calais pour garder la ville contre les François qu’il sentoit encore à Saint-Omer. Quand le roi d’Angleterre et ses gens furent arrivés à Douvres, ils issirent des vaisseaux et se tinrent ce jour et la nuit ensuivant pour r’avoir leurs chevaux et leurs harnois hors des nefs, et au lendemain le dit roi se partit, et vint à Cantorbie, et fit là son offrande au corps Saint Thomas, et dîna en la ville, et puis passa outre, et toutes ses gens aussi, et ne prit mie le chemin de Londres, mais les adresses pour venir jusqu’à Bervich.

Or vous dirai d’une haute emprise et grande que messire Gautier de Mauny, ce vaillant et gentil chevalier, fit en ce voyage. Il prit congé du roi et dit qu’il vouloit chevaucher devant pour ouvrir le chemin. Le roi lui octria assez légèrement. Si chevaucha le dit messire Gautier, à ceux de sa charge, tant, par nuit et par jour, qu’il vint devant Bervich et entra en la ville, quand il eut passé la rivière de Tuide qui keurt devant ; et fut grandement conjoui de ceux de Bervich et liement recueilli. Si demanda à ceux qui là étoient du convenant des Escots et de ceux du châtel. Ou lui dit que les Escots tenoient le châtel, mais ils n’étoient point foison de gens dedans. « Et qui est leur capitaine ? dit messire Gautier de Mauny. » — « Ils l’est, répondirent cils, un chevalier escot, cousin au comte de Douglas, qui s’appelle messire Guille Asneton. » — « En mon Dieu, dit messire Gautier, je le connois bien, c’est un bon homme d’armes. Je vueil qu’il sente, et aussi tous ses compagnons, que je suis ci venu devant pour prendre les logis du roi d’Angleterre. »

Adonc messire Gautier de Mauny mit ouvriers en œuvre ; et avoit usage que il menoit toudis quarante ou cinquante mineurs ; si que ces mineurs il les fit entrer en mine à l’endroit du châtel. Cils mineurs n’eurent guère miné, quand par-dessous les murs ils trouvèrent uns beaux degrés de pierre qui avaloient aval et puis remontoient contre mont par dessous les murs de la ville et alloient droitement au châtel ; et eussent les Escots sans faute été pris par celle mine. Quand ils se perçurent que on les minoit, et furent signifiés aussi que le roi d’Angleterre à tout son effort venoit, si eurent conseil entre eux qu’ils n’attendroient mis ces deux périls, l’aventure de la mine et la venue du roi d’Angleterre. Si troussèrent tout ce que ils avoient de bon une nuit, et montèrent sur leurs chevaux, et se partirent du châtel de Bervich et le laissèrent tout vague ; et volontiers l’eussent ars au partir, et s’en mirent en peine, mais le feu ne s’y voult oncques prendre. Ainsi reconquit messire Gautier de Mauny le châtel de Bervich, ainçois que le roi son sire y pût venir[2] et l’en fit présent des

  1. Il mourut le 5 décembre 1355 et pas le 5 octobre, à l’âge de 59 ans. Son corps fut porté à l’abbaye de Villiers.
  2. Suivant Thomas Otterbourne la ville de Berwick fut reprise le 13 janvier 1355 en prolongeant l’année jusqu’à Pâques, ou 1356 en comptant de janvier. Ni Fordun ni la Scala chronica ne font à Mauny, héros favori de Froissart, l’honneur de cette conquête. Froissart a raconté