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LIVRE I. — PARTIE II.

clefs et lui raconta, sur les champs en venant celle part, comment ils l’avoient reconquis et l’aventure de la bonne mine qu’il avoit trouvée. Si l’en sçut le roi d’Angleterre grand gré et le tint pour grand vasselage. Si entra en la ville de Bervich à grand’ordonnance de menestrandies. Si le recueillirent moult honorablement les bourgeois de la ville.

Après le reconquêt de Bervich, si comme vous avez ouï, et que le roi et ses gens se furent rafraîchis en la cité et la marche cinq jours, le dit roi ordonna d’aller plus avant au pays, et dit que, ains son retour, il arderoit tout le plain pays d’Escosse et abattroit toutes les forteresses, et, pour ce mieux exploiter, il avoit fait charger sur la rivière de Hombre, en grosses nefs, grand’foison d’engins et d’espringalles[1] pour arriver en la mer d’Escosse, dessous Haindebourch, et tout premièrement abattre le fort châtel d’Haindebourch ; et disoit le roi que il atourneroit tel Escosse qu’il n’y lairoit châtel ni forte maison en estant. Avec tout ce, pour ce que le roi d’Angleterre savoit bien qu’ils ne trouveroient mie pourvéances à leur aise ens ou royaume d’Escosse, car c’est pour gens d’armes forains un moult povre pays, et que les Escots auroient tout retrait ens ès forêts inhabitables, le dit roi avoit fait charger bien quatre cents nefs de blés, de farines, de vins, de chairs, d’avoines et de cervoise pour soutenir l’ost, car il étoit jà moult avant en l’hiver. Si se départirent le roi d’Angleterre et ses gens, et chevauchèrent avant au pays en approchant Haindebourch ; et ainsi que ils alloient, les maréchaux de l’ost et leurs bannières couroient, mais ils ne trouvoient rien que fourrer. Si chevauchèrent tant, le roi et ses gens, qu’ils vinrent en Haindebourch, et se logèrent à leur volonté en la ville, car elle n’est point fermée.

Si se logea le roi en l’hôtel de la monnoie qui étoit grand et beau ; et demanda le roi si c’étoit l’hôtel du bourgeois d’Aindebourch qui avoit dit qu’il seroit maire de Londres. On lui dit : « Oil. » Si en eut le roi bons ris, et dit là à ses chevaliers le conte ainsi qu’il alloit : « Quand le roi David d’Escosse entra en notre pays de Northonbrelande et il vint devant le Neuf-Châtel sur Thin, le temps que nous étions devant Calais, il avoit avec lui un homme qui étoit sire de cet hôtel ; si disoit, et aussi disoient plusieurs Escots, que il conquerroit tout notre royaume d’Angleterre. Si que cet homme demanda par grand sens un don au roi d’Escosse, en rémunérant les services qu’il lui avoit faits. Le roi d’Escosse lui accorda, et lui dit qu’il demandât hardiment, et qu’il le donneroit, car il étoit trop tenu à lui. Cet homme dit : « Sire, quand vous aurez Angleterre conquise, et vous départirez les terres et les pays à vos gens, je vous prie que je puisse être maire de Londres, car c’est un moult bel office, et en toute Angleterre je ne désire autre chose. Le roi d’Escosse lui accorda légèrement, car ce lui coûtoit peu à donner. Si fut pris le roi, ainsi que vous savez et qu’il gît encore en notre prison, mais je ne sais ce que l’homme est devenu. S’il est mort ou vif je le saurois volontiers. » Les chevaliers qui avoient ouï le conte du roi eurent bons ris et dirent : « Sire, nous en demanderons. Et en demandèrent ; et rapportèrent au roi qu’il étoit mort puis un an.

Si passa le roi outre ce pourpos, et entra en un autre, que de faire assaillir le fort châtel d’Aindebourch à lendemain. Mais, ses gens qui l’avoient avisé et imaginé tout environ à leur pouvoir, l’en répondirent que on s’en travailleroit en vain, et qu’il ne faisoit mie à reprendre, fors par force d’engins.

Ainsi se tint le roi d’Angleterre en Aindebourch bien douze jours ; et attendoit là ses pourveances, vivres et artillerie, dont il avoit grand’necessité, car de blés, de farines, de chairs, trouvoient-ils petit ens ou pays, car les Escots avoient chassé tout leur bétail outre la mer d’Escosse[2] et la rivière de Taye[3], où les Anglois ne pouvoient avenir. Et si ils sentesissent que les Anglois vinssent avant, ils eussent tout chassé ens ès bois et ens ès forêts, et avoient bouté le feu

    ces divers événemens avec plus de détails qu’aucun autre historien. Son récit est entièrement conforme à celui de Robert d’Avesbury, qui attribue aussi cette conquête à Gautier de Mauny. La seule circonstance qu’on trouve à ajouter à cette affaire dans les anciens historiens est l’envoi de Garencières dont j’ai déjà parlé d’après le témoignage de la Scala chronica, et qui est aussi mentionné par les anciens écrivains écossais.

  1. Sorte de machine qui servait à lancer des pierres, quand on assiégeait des villes.
  2. Froissart appelle probablement ainsi le Firth of Fourth qui est en effet d’une largeur telle que le Fourth en cet endroit ressemble plutôt à un bras de mer qu’à un fleuve.
  3. Le Tay est la rivière qui passe à Perth, ville que Froissart appelle toujours Saint-Johnston.