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LIVRE I. — PARTIE II.

tout le pays de là environ, ils se partirent et se retrairent pardevers la rivière de Somme et pardevers Bapaumes, pour venir vers Péronne ; et ne chevauchoient que deux ou trois lieues le jour. Si gâtèrent tout le pays suivant la rivière de Somme, tant qu’ils vinrent à une ville fermée que on appelle Bray sur Somme. Quand ils furent là venus, ils s’arrêtèrent et se mirent en ordonnance pour l’assaillir, car il leur sembla qu’elle étoit bien prenable. Si l’assaillirent fortement et durement, et en dura l’assaut le jour tout entier, et y perdirent les Anglois grand’foison de leurs gens : car ceux de la ville se défendirent vaillamment, parmi le reconfort du comte de Saint-Pol et du seigneur de Raineval et d’aucuns chevaliers et écuyers du pays qui se vinrent bouter par derrière, et à bien deux cents lances : autrement elle eût été prise. Et là fut occis à l’assaut un banneret d’Angleterre, bon chevalier et hardi durement, dont les Anglois furent moult courroucés, mais amender ne le purent.

Quand ils virent qu’ils ne pouvoient gagner la ville de Bray et que trop leur coûtoit de leurs gens, ils se partirent et suivirent la dite rivière, à grand malaise de pain et de vin ; et vinrent à une ville qu’on appelle Cerisi[1], là où ils trouvèrent suffisamment pain et vin. Si passèrent là endroit la rivière, au pont qui n’étoit mie défait, et séjournèrent là la nuit et le jour de la Toussaints. En ce séjour vinrent nouvelles au duc de Lancastre que son sire étoit venu et arrivé à Calais[2], et lui mandoit que tantôt il se traist vers lui à toute sa compagnie. Aussi à voir dire, n’osoit-il passer plus avant, tant pour ce qu’il avoit perdu de ses gens grand’foison devant Bar sur Somme, comme pour la doute du gentil comte de Saint Pol et sa route. De ces nouvelles furent lies et joyeux tous les compagnons d’étranges pays, pour l’espérance d’avoir monnoie, qui avoient eu grand’faute d’argent et enduré maintes mésaises : si se partirent liement de là, et repassèrent la rivière là même et se retrairent à Calais là où ils cuidoient trouver le roi d’Angleterre. En cette chevauchée étoit messire Henry de Flandre atout deux cents armures de fer ; et de Brabant y étoient, messire Henry de Bautresen sire de Bergues, messire Girard de la Horde, messire Franque de Halle[3] : de Hainaut, messire Gautier de Mauny, et messire Jean de Gommignies : Hesbaignons, messire Godefroy sire de Harduemont et messire Jean son fils, messire Gautier de Hautepenne leur cousin, messire Regnaut de Boullant, messire Jean de Duras, messire Thierry de Seraing, son frère, messire Rasses de Junieppe, messire Gilles Sorles, messire Jean de Bernamont, messire Renard de Berghes, et plusieurs autres. Les Allemands et les messenaires d’étrangers pays ne pourrois-je savoir tous nommer, si m’en tairai atant.


CHAPITRE CVIII.


Comment ces seigneurs étrangers montrèrent humblement au roi d’Angleterre leur povreté ; et quel chose il leur répondit.


Ainsi que le duc de Lancastre et ces barons et ces chevaliers s’en retournoient devers Calais, pour trouver le roi d’Angleterre que tant avoient désiré, ils rencontrèrent sur le chemin, à quatre lieues près de Calais, à si grand’multitude de gens d’armes que tout le pays en étoit couvert, et si richement armé et paré que c’étoit merveilles et grand déduit au regarder les armes luisans, leurs bannières ventilans, leur conroy par ordre le petit pas chevauchant ; ni on n’y sçut que amender. Quand le duc de Lancastre et ces seigneurs dessus nommés furent parvenus jusques au roi, il leur fit grand’fête et liement les salua, et les regracia moult humblement de leur service et de ce qu’ils étoient là venus de leur bonne volonté. Tantôt ces seigneurs étrangers, Allemands, Brabançons et Hesbaignons tous ensemble, remontrèrent au roi moult humblement leur povreté et nécessité ; comment ils avoient tout leur avoir dépendu, leurs chevaux et leurs harnois vendus, si que peu ou néant leur étoit demeuré, pour lui servir, auquel nom ils étoient là venus endroit, ni pour eux r’aller en leur pays, si besoin étoit. Si lui prièrent que par sa noblesse il y voulsist entendre et regarder.

Le roi se conseilla assez brièvement tout à cheval, en my les champs là où il étoit. Si leur

  1. Village sur la Somme, entre Corbie et Péronne.
  2. Édouard partit de Sandwich le 28 octobre et arriva le soir du même jour à Calais, suivant le Memorandum de son passage publié par Rymer.
  3. Franque de Halle fut nommé plus tard commandant de Calais. Il fut aussi nommé chevalier de la Jarretière à la place de sir Otho Holland.