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CHRONIQUES DE J. FROISSART.

tant seulement, et vint là où messire Berthelemieu et messire Jean de Ghistelles étoient. Sitôt comme il fut là venu, ils le menèrent à leur mine et lui montrèrent comment la grosse tour ne tenoit fors sur estançons de bois. Quand le chevalier françois vit le péril, si dit à messire Berthelemieu : « Certainement, sire, vous avez bonne cause, et ce que fait en avez vient de grand’gentillesse : si nous mettons en votre volonté et le nôtre aussi. » Là les prit messire Berthelemieu comme ses prisonniers et les fit partir hors de la tour, uns et autres, et le leur aussi ; et puis fit bouter le feu en la mine. Si ardirent les estançons, et quand ils furent tous ars, la tour qui étoit malement grosse et quarrée, ouvrit et se partit en deux et renversa d’autre part. « Or regardez, ce dit messire Berthelemieu à monseigneur Henry de Vaulx et à ceux de la forteresse, si je vous disois vérité. » Ils répondirent : « Sire, oil : nous demeurons vos prisonniers à votre volonté, et remercions de votre courtoisie ; car les Jacques bons hommes qui jadis régnèrent en ce pays, si ils eussent ainsi été au dessus de nous que vous étiez or-ains, ils ne nous eussent mie fait la courtoisie pareille que vous avez. » Ainsi furent pris les compagnons de la garnison de Cormicy et le château effondré.


CHAPITRE CXIX.


Comment le roi d’Angleterre se partit de devant Reims sans rien faire ; et comment il prit la ville de Tonnerre.


Le roi d’Angleterre se tint à siége devant Reims bien le terme de sept semaines et plus, mais oncques n’y fit assaillir, ni point ni petit, car il eût perdu sa peine. Quand il eut là tant été que il lui commençoit à ennuyer, et que ses gens ne trouvoient mais rien que fourrer, et perdoient leurs chevaux, et étoient en grand’mésaise de tous vivres, ils se délogèrent et se arroutèrent comme par avant, et se mirent au chemin pardevers Châlons en Champagne. Et passa le dit roi et tout son ost assez près de Châlons ; et se mit par devers Bar-le-Duc[1], et après pardevers la cité de Troyes et vint loger à Méry sur Saine ; et étoit tout son ost entre Méry et Troyes où on compte huit lieues de pays. Pendant ce qu’il étoit à Méry sur Saine, son connétable chevaucha outre, qui toujours avoit la première bataille, et vint devant Saint-Florentin dont messire Oudart de Renty étoit capitaine, et y fit un moult grand assaut, et fit devant la porte de la forteresse développer sa bannière qui étoit faissée d’or et d’azur à un chef pallé, les deux bouts géronnés à un écusson d’argent en-my la moyenne ; et là eut grand assaut et fort, mais rien n’y conquirent les Anglois. Si vint le dit roi d’Angleterre et tout son ost, et se logèrent entour Saint-Florentin sur la rivière d’Armençon ; et quand ils s’en partirent, ils vinrent pardevant Tonnerre, et là eut grand assaut et dur ; et fut la ville prise par force, et non le châtel : mais les Anglois gagnèrent au corps de la ville plus de trois mille pièces de vin. Adonc étoit dedans la cité d’Auxerre le sire de Fiennes connétable de France, à grand’foison de gens d’armes.


CHAPITRE CXX.


Comment le roi d’Angleterre se partit de Tonnerre et s’en vint loger à Montréal, et puis de là à Guillon sur la rivière de Sellettes.


Le roi d’Angleterre et son ost reposèrent dedans Tonnerre cinq jours, pour la cause des bons vins qu’ils avoient trouvés, et assailloient souvent au châtel ; mais il étoit bien garni de bonnes gens d’armes, desquels messire Baudouin d’Ennekins maître des arbalétriers étoit leur capitaine. Quand ils furent bien refraîchis et reposés en la ville de Tonnerre, ils s’en partirent et passèrent la rivière d’Armençon ; et laissa le roi d’Angleterre le chemin d’Aucerre à la droite main et prit le chemin de Noyers[2] ; et avoit telle intention que d’entrer en Bourgogne et d’être là tout le carême. Et passa lui et tout son ost dessous Noyers, et ne voulut oncques que on y assaillît, car il tenoit le seigneur prisonnier de la bataille de Poitiers. Et vint le roi et tout son ost à gîte à une ville qu’on appelle Mont-Réal, sur une rivière que on dit Sellettes[3]. Et quand le roi s’en partit, il monta celle rivière

  1. Ce n’était pas là le chemin qu’il fallait prendre pour aller directement de Reims à Troyes ; mais il est vraisemblable qu’Édouard voulait parcourir le pays pour le ravager.
  2. Petite ville sur la rivière de Serin.
  3. Mont-Réal est situé près de la rivière de Serin ou Serain. On ne connait dans ce canton aucune rivière nommée Sellettes.